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Citation de Carosand


Cinquante ans, hier, écrivait Lison. Je me répète chaque année : "Quelle chance, j'ai un an de plus ! " Cela veut dire au moins que je ne suis pas morte l'année dernière et cela continue à m'amuser chaque fois d'avoir le même anniversaire que l'an neuf. Mais ce qui m'ennuie un peu plus d'anniversaire en anniversaire, ce ne sont pas tellement les conséquences physiques que chronologiques du vieillissement. Je me fais mal à l'idée d'avoir de moins en moins de temps devant moi. Je ne peux décemment plus rêver à des vies pour moi, la mienne m'habite, je fais corps avec elle. A vingt ans, à trente, à quarante ans même, on peut encore imaginer que l'on réalisera la plupart de ses intentions, on a des destins. A mi-vie, on a une histoire. J'aime bien la mienne, mais elle ne me suffira jamais tout à fait. Je ne me consolerai pas complètement de ce à quoi j'ai choisi de renoncer pour pouvoir accomplir autre chose : je n'écrirai probablement jamais "mon livre", je ne comprendrai jamais rien à l'électricité, je ne parlerai pas l'italien et j'en passe. Déjà, depuis des années, je n'apprends plus un poème par jour comme je le faisais dans l'adolescence en me jurant de continuer à travers la vie. Mais vivre sa vie d'adulte responsable, c'est être acculé justement à accorder un temps sans cesse diminué à cette sorte de geste inutile et que l'on voudrait pourtant indispensable. La conscience de cette implacable érosion du rêve par la réalité peut m'entraîner sur un fleuve de mélancolie vaine bien plus vite et plus sûrement que le chagrin que me fait parfois ma gueule dans la glace. L'érosion de ma gueule doit m'être égale, en fait, puisque je n'y pense pas. Ce sont les autres qui m'y font penser. Souvent quand je parle de notre âge à des amies, la plupart montrent beaucoup de regret et de lassitude devant ce qui nous arrive. Le fait d'être destinée à plaire moins, ou plus du tout, ou différemment, les perturbe, moi pas beaucoup. Non, c'est plutôt que je demeure habitée par la bienheureuse petite inquiétude de l'amour. Je regarde l'homme avec lequel je vis, et dont je suis amoureuse et qui, bien entendu, je l'ai constaté encore il y a quelques jours, est très capable de me faire souffrir, je le regarde, cet homme, sans lui demander d'être mon semblable. Je sans qu'il est mon différent. Ce n'est pas un étranger, par Dieu non, c'est mon proche, mais nous ne sommes pas "qu'un" et, loin d'en souffrir, comme je me suis butée à le faire trop longtemps, je me sens libre de n'éprouver pas le besoin de me fondre en lui.
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