Le regard de Pauline s'arrête sur le phare de l'Ost-Pic qui domine la baie de Bréhec. Comme les rouleaux qui font tanguer les bateaux de plaisance, ses souvenirs remuent son âme.
Ils préfèrent ne pas penser au lendemain et vivre ces instants avec l'innocence que l'amour donne aux amants. Avant de la déposer à deux rues de chez elle, ils se promettent de se retrouver à Ploumanac'h le samedi suivant. Il la regarde s'éloigner avec la peine de l'amant délaissé qui n'a pas le courage de changer sa vie.
C'est comme si la nature tout entière rendait un dernier hommage à celui qui avait adopté la Bretagne et ne l'avait jamais quittée. Il avait aimé la rudesse de son climat, ses paysages à couper le souffle, la pudeur de ses habitants au grand coeur. "La Bretagne est une poésie entre terre et mer" disait-il souvent aux Parisiens qui lui demandaient si la capitale ne lui manquait pas.
Au début, quand il était arrivé en Bretagne, il avait du mal à supporter ces effluves qui lui donnaient la nausée. Il aurait préféré ne pas habiter en bord de mer pour ne pas vivre au gré de la marée, mais sa femme avait fait des pieds et des mains pour s'installer à Paimpol, dans une jolie maison de ville sur les quais. Il avait cédé, après tout Pauline était née dans cette région où la mer décide de tout ou presque. Il finirait bien par s'habituer. Si la pleine mer qui fait tanguer les bateaux fait rêver les voyageurs, lui prenait un plaisir inexpliqué à voir les coques enlisées dans la vase, comme prisonnières du temps. La mer monterait à nouveau et viendrait les libérer. Les navires reprendraient le large vers d'autres horizons. Lui, il resterait là dans son bureau d'avocat, prisonnier de la raison et de sa petite vie bien ordonnée.
— Tiens, regarde... celui-là il est pas mal, me dit Sophie avec un enthousiasme déclinant au fur et à mesure que nous scrutons les profils en jouant de la souris avec une dextérité
qui trahit de nombreuses heures passées devant l’écran.
— Montre, je réponds, un peu lasse de tous ces Bac +5 dont la vie virtuelle défile devant nos yeux. Ouais... plutôt beau gosse...
Et s’étale – version électronique – la vie en condensé d’un beau brun au large sourire. Clic après clic, Sophie et moi découvrons des photos prises aux quatre coins du
monde. Dirigeant dans la finance, divorcé, un enfant, vivant entre Paris, Londres et Genève, à la recherche d’une relation (durable), quarante-huit ans.
- Des puces ? La première lettre est un p comme le poulet. La ressemblance s'arrête là...
La vue des misérables chiens éventrant les poubelles me fait toutefois comprendre que Benguérir, le paradis de la grillade, a son lot de va-nu-pattes et pieds qui ne mangent pas tous les jours à leur faim.