Florence Mailly

Ce cancer, je le comparais à un tremblement de terre: vous pensez que votre monde s’effondre, que tout est détruit et puis vous constatez que l’essentiel de la structure est restée debout et que l’ébranlement a fait apparaître sur le mur de votre maison, une fresque médiévale que vous n’aviez jamais vue! Une fresque d’une grande valeur qui vaut bien plus que le papier peint qui recouvrait le mur! Le cancer est une catabase;

Aussi loin que je me souvienne, je suis étrangère à ce monde. Je me souviens
alors de ce voyage à New-York. Je me promenais dans les rues géométriques et
grises et froides, comme un quadrilatère, comme un grillage dont les fils
étouffants me retenaient. Je marchais la tête levée, dans le gris de la ville, et le
jardin enserré dans ses entrailles, m’attirait. Central Park. Comme un paysage
des tableaux de la Renaissance, ce décor choisi, artificiel, redondant et lisse
contrebalançait la géométrie des rues. Puis Broadway, comme une évidence d’un
autre lieu, d’une autre culture mais comme une reconnaissance profonde.
J’ignorais que Broadway, ce « chemin étranger » était une ancienne piste
indienne qui serpente comme une danse vers la mer, vers l’Ancien Monde.

Déjà les ombres portées des passants me donnaient à voir comme une ronde,
celle des hommes et des femmes de toutes les époques, qui avaient parcouru les
ruelles, les places de la Ville Eternelle, qui vaquaient à leurs occupations, comme
un cercle incessant d’êtres, une chaîne d’ancêtres au-delà des siècles. J’avais
envie d’être seule, de me laisser porter par le vent dans les pins, le bruissement
de l’eau du Tibre, être simplement, pour être à moi-même. Je réfléchissais à Charles et à son mentor : Don Quichotte, à Achille, plus mystérieux, qui
semblait s’intéresser au Moyen Age. J’allais fêter dans quelques semaines mes
quarante ans, que voudrais-je vivre pour moi, seulement pour moi-même, sans
me retrouver dans les pas des autres ?

C'est bon d'être triste
De sentir la mélancolie
C'est le trop plein
De vie, de joie

La mort me guette
Me cerne
Et apaise la vie même
L'homme
Ne se prépare pas
À mourir
Et pourtant
La mort nous presse
De donner un sens
À la vie