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Citation de mimo26


J’ai tout de suite aimé cette maison au bord de la rivière et je l’ai choisie pour sa proximité immédiate de l’eau. Je savais que je l’habiterais à l’exclusion de tout autre lieu. Et que j’y écrirais. Du premier étage, une fenêtre regarde vers l’eau en contrebas. Rien qu’une fenêtre. La vue plonge. À cet endroit large, l’étendue prend l’allure calme d’un lac avant de creuser son lit et de s’élancer.

Dans les rivières le temps se joue. Le paysage se désole et se lit comme une carte. Sur les rives tout d’abord, où une brise agite des roseaux, se penchent les aulnes et s’élèvent les frênes. Une ligne de peupliers se dresse puis le cours tourne en douceur et se perd au lointain. En aval, on répare un barrage. L’eau continue à se vider et au fil des jours apparaissent les reliefs de ses fonds. Elle laisse un limon gras où déjà croît un duvet de verdure. Les bras morts, là où l’eau s’apaisait, leurs amas de branches et de troncs, de pierres et d’objets incongrus échoués, finissent par ressembler à un terrain vague. Traces de pattes d’oiseaux sur la vase mouillée. Sur les écueils de gravier, un filet suinte encore d’un trou d’argile. Des galets, des silex usés tentent de freiner son énergie. Au milieu l’eau se hâte, la chevelure des algues siffle. Elle se précipite et s’épuise, étincelante dans le poudroiement des vapeurs du matin, promesse d’une belle journée. Avec les travaux du barrage, le chant de la rivière a changé de timbre, plus allègre. Il y a cette chanson de Charles Trenet : « Quand tu reverras ta rivière, les prés et les bois d’alentour… et le banc vermoulu près du vieux mur de pierre… » Je ne savais à quel point j’y étais attaché. Je pouvais demeurer des heures dans la simple contemplation, à attendre l’apparition des fleurs de nénuphar, sous l’ardeur du soleil qui les tire vers le haut, les sauve du désastre de la part des ténèbres. Ma rivière d’enfant était mon Orénoque. Il me suffisait de traverser un champ de fenaison où sommeillaient des couleuvres pour l’atteindre. Je longeais ses bords, alerte rien ne pouvait m’arrêter. J’aurais pu craindre d’être englouti dans les remous de la roue du moulin derrière la maison. La peur de l’élément liquide, bouillonnant, s’éteignait lorsque je lançais ma ligne dans ses tourbillons. Il n’y avait alors plus que la menace de la force inconnue d’un carnassier à l’attaque. Je ne pensais pas finir dans la blancheur des écumes. L’attrait de la proie me faisait oublier la terreur des eaux. À cet âge où tout est possible, le risque ne compte pas. En m’installant à Chêne-Bleu, j’ai voulu retrouver la force de l’enfance. Il y a une tension à rester observer le vol des nuages glisser sur l’eau invisible. Le silence n’existe pas. La nature n’est jamais atone, même les jours où le soleil écrase tout et rompt le mystère des clairs-obscurs. Une simple vibration, une irisation de surface, un rien suffit. Un oiseau qui passe à tire-d’aile, des ombres qui s’allongent. Un souffle qui arrache une branche, les volutes du vent qui défont, diffusent, pénètrent le paysage. Des poussières flottent dans l’air qui prend une couleur. Une lumière qui s’étend, baigne, inonde, puis se retire brusquement aux premières ombres du crépuscule.

À tout instant se passe une action, même dans les buissons immobiles. Le trait bleu électrique d’un martin-pêcheur. Dans ce coin singulier, la nature n’est qu’un champ d’attraction si l’on a la sagesse de l’attention. Je m’y noie, je m’oublie, je m’y laisse absorber tout entier. Je me perds sur les chemins tortueux, humides même au creux de l’été. Certains jours de chaleur, à la vue des herbes brûlées sous le soleil, ou dans les arbres dépouillés du cœur de l’hiver, dans les eaux scellées, je sens monter en moi quelque chose de déchirant, un sentiment de solitude. Alors, il peut m’arriver de parler aux poissons privés de parole. Je ne quitterai donc pas cette enfance, cette grande maison de l’enfance.
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