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François Poirié : Comme une apparition]
Depuis la Cité Internationale Universitaire de Paris,
Olivier Barrot interviewe
François Poirié pour son livre "Comme une apparition" aux éditions "actes
sud"
Entre flatterie calculée et louange sincère, la distance est simple mais évidente. Infranchissable. Nette et aveuglante, elle est ce qui sépare (en nous) le Valet du Seigneur. Ce qui (en nous) accepte et ce qui refuse. Quand simulation et dissumulation se rejoignent pour affecter notre orgueil et nous entraîner vers on ne sait quelle perte de soi, une force nous dit de partir face à tant de flagorneries écoeurantes. Tout de suite. Vite. Sans sourire, sans expliquer. Claquer des doigts pour clore cette sinistre comédie.
"J'ai pris l'indécision d'écrire", me déclara un soir solennellement, emporté par l'ivresse et ses mirages, un poète avec qui j'ai vécu, très jeune, durant quelques semaines, dans la fureur et les cris de sa mégalomanie. Cette phrase, son emphase et sa fausseté radicale me firent le maudire avec encore plus de passion.
Comment disparaître sans mourir ? Lassitude d'être soi, seulement soi, tout le temps. On aimerait des intrusions plus fortes que les livres, fussent-ils ravageurs, le sexe, l'alcool, les drogues. On choisit le sommeil, sous hautes doses de médicaments, comme possibilité d'oubli, d'envol : petite mort dont on se réveillera brisés, hébétés mais exactement les mêmes ! Où est la vague qui nous emportait à l'adolescence, à seize ans, à l'autre bout de nous ? Une vilaine crique de béton a remplacé la plage infinie où nous courions comme des fous. A l'horizon, on aperçoit la silhouette trouée, grotesque, de notre jeunesse éclatante. Si nous avions encore quelque force, nous pleurerions, mais nous restons de marbre, las de tout, de nous, indifférents à tous, statues dans un jardin désert, les yeus clos.
Confrontés à l'indécision de l'autre, on est vite angoissés, impatients : on veut de la certitude, de la blessure, de l'or, de la boue, voire de la haine : du concret ! Une parole, pas une pierre. Et plus on veut, plus on supplie, plus l'autre s'esquive royalement :"Débrouille-toi", nous suggère-t-il, se repliant dans sa niche. Ce n'est pas sympathique. Sadisme et lâcheté de l'indécision : du grand art, parfois, reconnaissons-le. Jusqu'à rendre l'autre fou.
Un jour, Mamie Rose avait voulu donner à Raphaël une pièce en or (un napoléon). Sa maman avait fermement refusé. [...] Elle avait dit à Mamie Rose qu'elle ne doit pas donner de l'argent à un petit garçon de huit ans. Mamie Rose avait répondu que l'or, ce n'était pas de l'argent.
Les oiseaux, c'est plus méchant que les hommes ?
Raphaël décide qu'à partir d'aujourd'hui "amitié" sera son mot fétiche, celui qu'il écrira et dira le plus souvent possible. C'est, parmi tous les mots qu''il connaît, celui qu'il trouve le plus musical. C'est un mot qui l'enchante.
Raphaël a surnommé Gérard Monsieur Rien, car il emploie très souvent ce mot, "rien". Monsieur Rien n'a rien à dire, Monsieur Rien ne veut rien boire, Monsieur Rien n'a rien vu d'intéressant au cinéma, Monsieur Rien n'aime rien.
Sa maman a expliqué à Raphaël que l'histoire enseignait la vérité, mais Raphaël, lui, croit que tout ça a été inventé et que ces rois, ces empereurs, ces tyrans et toutes ces guerres ont été imaginés par un écrivain très doué.
Le ciel s'est couvert de gros nuages menaçants. Il va pleuvoir. La vie est devenue - soudain - triste et idiote.