Les mots font mal, ils s’insinuent en vous, ils vous pénètrent lentement mais sûrement et finissent par vous habiter, par exercer leur tyrannie…
(Québec Amérique, p.215)
La plupart des humains sont ainsi faits : confronté à quelqu'un qui défend avec conviction un certain portrait du réel, quel que soit son degré d'invraisemblance, s'il est plus rassurant d'adhérer à cette vision du monde que de la nier, l'humain l'adoptera par instinct.
Je regarde sa photo. Objectivement beau bonhomme, même si c'est pas trop mon genre. Faux bûcheron urbain qui calcule trop la longueur de ses poils pour qu'on puisse l'imaginer couper du bois pour vrai.
Arranger le réel au goût des autres, encore et toujours. Je rêve d'un monde où chaque homme pourrait être vrai. S'il existe un paradis quelque part, ce sera un monde ainsi fait, où le Beau rejoindra le Vrai.
Entrer dans l'âge adulte, c'est d'abord et avant tout voir ses parents tomber de leur piédestal d'illusions. C'est les voir enfin comme ils sont vraiment : faibles et si humains que c'en est triste. (...) C'est se voir aussi un peu comme eux, c'est comprendre que la vie n'ira pas comme on veut, qu'elle n'en fera qu'à sa tête et passera vite, c'est comprendre qu'on en aura qu'une seule, que les prêtres nous ont menti, que les adultes mentent aussi et qu'il faut, pour survivre en ce monde, se mettre à mentir comme eux.
Ma main, sa main, son coeur et le mien, la luciole qui file en bas du ravin et nous autres à sa suite ensemble enfin.
Vient un âge, dans la vie d'un homme, où la solitude véritable est illusoire, où même l'ermitage le plus enfoui sous la terre, à l'abri du regard humain, est peuplé des fantômes du temps passé qui vous ramènent à la mémoire vos errements et vos douleurs d'autrefois.
Athanase passa la veillée seul à se bercer sur la véranda, fumant sa pipe dans l'infini crépitement des grillons, cherchant à renouer le fil de sa mémoire oublieuse, accroché désespérément aux accoudoirs de sa berçante pour ne pas dériver plus loin.
C'est le fait que cet été-là, j'ai compris pas mal d'affaires sur l'humain, et surtout qu'on est des animaux comme les autres à peu de choses près, guidés par nos pulsions, à la fois trop et pas assez intelligents pour notre bien.
C’est son genre d’homme à lui. Genre d’homme qui se donne à l’usine et qui rentre à la maison vidé chaque soir, genre d’homme qui se cherche une mère plus qu’une femme. Genre d’homme qui ne dit mot sauf pour gronder, genre d’homme qui ne connaîtra jamais ses enfants pour vrai. Genre d’homme qui meurt exactement comme il est né, genre d’homme qui ne demande pas mieux. Genre d’homme qui ne voit pas plus loin que la prochaine paye du jeudi, que le prochain samedi qui tarde toujours trop. Genre d’homme que je connais trop bien, que j’ai côtoyé toute ma vie.
(Québec Amérique, p.105)