II
Mes cris sont devenus plus sourds
À force de crier
Contre tant d’orages et de feux,
Mes gestes se font plus lents,
Plus vifs mes pas sur la grève.
La vague s’arrondit infiniment
Au seuil de ma demeure
Ointe d’huile et traversée de lampes.
Je cherche une terre où les arbres
N’aient plus ni fruits ni feuilles
Et bruissent de tant de silence,
Où les branches se peuplent d’insectes
Et de merles volubiles.
La clarté du jour
Fait naître en sa lumière
Sur le front du dormeur qui s’éveille
Un songe de nuit
Déjà rêvé.
Des rives nouvelles
Et des feuillages inconnus
S’ouvrent aux pas des hommes,
S’accordent aux chants des femmes,
À leurs cris près de l’urne renversée.
L’eau d’un puits
Coule en secret
Vers mes lèvres,
Lisse et nue.
p.8
V
Un chemin monte du puits vers l’ombre
Et tremble dans l’attente d’un feu,
Je gravis la lumière qui prend forme
D’oiseau, et m’envole vers la cime.
La nuit n’a plus de nom, prive la source
De son langage d’eau vive,
La lampe glisse, en songe d’éternité,
Sur le front des morts.
Les dépouilles offertes aux vagues
Et les grèves peuplées de poissons étincelants
Deviennent tumultes de nuées,
Chaos d’astres en feu.
L’extase du corps foudroie
Le soleil dans ma bouche,
Roule sur la langue sa musique
Ardente et céleste.
Les silex pénètrent mes os
De leur feu,
Avivent la douleur du corps
Qui ploie, mortel enfin !
p.11
IV
Signe de l’ombre ce présage de l’éclair
Qui habite et corrompt la braise,
Et qui parle aux arbres de l’été futur,
À ceux qui naissent de la pierre rompue.
Le sang bleuit à nos lèvres
Dès le premier cri du jour, ténu,
Et rejoint la source diserte,
Ton nom au fleuve de l’oubli.
Le pain lève dans l’urne, la nuit
Se dérobe au cœur blessé, les ténèbres
Divisent nos voix frôles,
Les lampes éclairent l’âme des morts qui errent
Sur le seuil votif.
La terre entrouvre l’abîme,
Descelle les rocs, glisse au tombeau.
L’aube repose sur nos mains ouvertes,
Et dans chaque branche qui ploie
Une ombre de vent, furtive,
Voyage vers le centre du puits.
Les visages sont cloués aux portes
Des granges en liesse d’épis
Et de fruits mûrs,
Les dormeurs ensevelis n’ont plus de songes.
Le corps dépouillé de sa chair,
Défait de ses os friables,
N’est plus que cendres versées
À la mer.
p.10
Un filet d'eau fraîche et de lumière
Coule entre les pierres du ciel
Tu recueilles dans tes mains
La source de tes songes
Rêver n'a pour demeure
Que l'entrelacs de tes muscles
Et de tes nerfs tendus
A se rompre comme la musique
Du vent dans la harpe
Terrestre de tes mots
( revue Arpa n° 114)
I
Que ta clarté soit éphémère,
Cendre volant de chaque feu
Vers l’ombre du seuil, mort sereine
De l’été dans le fruit qui tombe du soleil,
Déjà mûr !
L’éclair voyage du cœur à la rive
En cette nue déserte jusqu’aux puits.
Stèles du songe que dresse la lumière
Sur le faîte des toits,
J’accomplis l’heure brève de vos signes !
Voix plus sourde que le langage du vent
Sur chaque cime,
Qui roule sur la langue sèche de l’été,
Emplis de ton chant la courbe de mes mains !
La terre soumet aux moissons futures
Le pain rompu sur la nappe blanche,
Apporte aux lèvres la fraîcheur de l’eau,
L’éternité furtive de la mort !
p.7
VI
Feux lents à naître
Sous la cendre des routes,
Crucifiés dans les branches les plus hautes
De nos demeures,
Orages dédiés à la foudre obscure,
Aux chemins durcis par mes pas,
Régnez sur ce vol
D’astres et de brumes,
Brûlez la terre pesante
Et les gerbes liées à mes mains !
Le limon défie l’espace
Et le poids de mes membres,
Le corps, dans sa chute, combat la lumière
Qui précède, au soir, le pas ultime.
Que l’ombre des feuilles
S’étende sur ma marche,
Que ma voix seule
Fasse le jour !
p.12
III
Un songe d’arbre naît de la pierre
Et chemine vers les plus hautes branches
En ce lieu désert jusqu’au cœur,
La lumière noue d’autres mains
Qui se ferment sur mon visage.
Les feux sont paroles d’ombre
Et de chair,
Et chaque feuille m’est souffle
De vie.
L’espace illumine la terre
Docile au pas, resserre la cime
Autour du vol de l’aigle,
La pierre scelle l’oubli du temps
À la mémoire d’un songe futur.
Le désir de vaincre la braise
Par un feu plus pur
Et plus prompt que l’orage
Consume la nuit de sa foudre ailée,
Et les vivants deviennent poussière d’os
Et de cendres mortes
Dans ma bouche.
Le silence du puits aggrave
Un combat plus juste avec la mort,
Les vents en marche vers l’abîme
Embrasent l’été qui rougeoie
À chaque épi.
Je livre mon corps au futur des étoiles,
Les cités s’emplissent de ténèbres
Et d’ombres en multitude,
Vivre m’est douleur sereine
Et, froide, la mort me déchire.
p.9
VII
Il n’y eut point de frontières nouvelles,
La terre avait cessé de croître
Sous nos pas,
Nocturne à midi l’obscur !
Elle resserrait l’orbe des feux
Autour des puits et des lampes, ...
p.13