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Citation de Partemps


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On atteint là, avec la figure d’Elis et de l’enfant, à un moment essentiel de la poésie de Trakl. Elis, à côté de Sébastien et d’Hélian, autres figures d’enfant présentes chez Trakl, est pour Heidegger l’incarnation même de l’étranger, mais non pas de Trakl lui-même – pas plus, précise-t-il, que le Zarathoustra de Nietzsche ne peut être identifié à Nietzsche lui-même. Heidegger souligne la similitude qu’il y a entre Elis et Zarathoustra dans la manière non négative dont ils comprennent le déclin et s’engagent en lui. Elis est la figure de l’enfance, d’une enfance plus ancienne que la vieille espèce en décomposition, plus ancienne, note Heidegger, parce que plus sinnender, plus voyageuse, plus sereine, hors dissension. Qu’est-ce en effet que l’enfant ? Celui en qui la dualité des sexes n’est pas encore devenu dissension, celui dont l’allemand parle au neutre, et qui abrite et réserve en soi le tendre double pli des sexes. Elis ne se décompose pas, mais il perd son être (entwest) dans la précocité qui est la sienne, une précocité dont Heidegger dit qu’elle n’est pas encore venue au porter, zum Tragen, et il faut ici entendre ce mot au sens du vieil haut allemand giberan, qui veut dire porter un enfant, enfanter. C’est précisément, selon Heidegger, ce non-enfanté que Trakl nomme l’ingénéré (der Ungeborene) dans le poème intitulé « Clair printemps », « Heiterer Frühling ». L’ingénéré et l’étranger sont le même, ce qui implique que celui qui s’est séparé n’est pas décédé, au contraire, il n’est en quelque sorte pas encore né. Or cette précocité ou ce matin dans lequel l’étranger est entré en déclinant est un temps tout particulier, le temps des années spirituelles. Il s’agit là d’un temps particulier parce qu’en lui la fin de l’espèce décomposée précède le début de l’espèce ingénérée. La véritable temporalité, suggère ici Heidegger, n’est pas linéaire, comme la métaphysique se la représente depuis Aristote, qui a défini le temps comme le nombre du mouvement. Le vrai temps est la venue de ce qui a été, non pas du passé, c’est-à-dire du révolu, mais le rassemblement de ce qui a été et qui précède toute venue. Ce vrai temps, comme déjà Heidegger le montrait dans Être et temps, se caractérise par le fait qu’en lui avenir et passé sont dans un rapport réciproque, sont en co-appartenance ou en co-originarité. Ce temps, Trakl le nomme spirituel, « geistlich ». Le mot geistlich, dont le sens originel signifie « ce qui va dans le sens de l’esprit », a aujourd’hui été restreint à son contraste avec le temporel et associé à l’état ecclésiastique, celui du prêtre. Heidegger note que Trakl évite l’emploi du mot « geistig » qui est, lui, dans l’usage courant, non pas opposé au temporel, mais au matériel, et fait donc ainsi partie de la grande opposition métaphysique du sensible et de l’intelligible15. Or une telle façon de voir est celle de l’espèce en décomposition. C’est la raison pour laquelle, explique Heidegger, le crépuscule dans lequel entre l’étranger ne peut nullement être nommé geistig.
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