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Citation de Partemps


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Heidegger pose alors la question du rapport de ce site à la poésie, question problématique puisque c’est celle du rapport entre le non-dit et le dire. En d’autres termes, en quoi la séparation peut-elle être l’origine d’un chant, d’accords harmonieux, comme le dit le poème « Déclin de l’été » ? Comment comprendre l’Abgeschiedenheit : comme séparation qui divise ou comme élection qui rassemble ? Heidegger cite à nouveau le poème « À un jeune mort » dans lequel apparaît le visage de l’ami qui est à l’écoute de l’étranger et qui le suit, devenant ainsi lui aussi voyageur et étranger. Heidegger souligne que le chant de l’étranger suscite l’attention de ceux qui choisissent de le suivre. C’est ainsi, ajoute-t-il, que s’accomplit l’essence de la séparation : elle n’est le site de la poésie que si elle est à la fois recueil de la sérénité de l’enfance, tombe de l’étranger et rassemblement de ceux qui suivent l’étranger, car c’est par leur écoute seulement que le chant de l’étranger devient audible et accède au dire poétique. Car, Heidegger l’affirme, le dire poétique, le Dichten, est un redire (nachsagen), un dire en réponse, et donc d’abord et avant tout une écoute. C’est pourquoi le dire poétique peut garder le site de la poésie, le Gedicht, comme ce qui est essentiellement non-dit. Un tel chant ne peut naître que de la nuit, de l’obscurité que traverse l’étranger, car cette nuit que nomme tant de poèmes de Trakl est une « nuit spirituelle », eine geistliche Nacht, une nuit qui n’est nullement la destruction de l’esprit, mais où brille la clarté de son absence. Déjà, à propos de Hölderlin, Heidegger avait souligné que la modernité doit être comprise comme une « nuit sacrée », c’est-à-dire comme l’époque où le rapport au divin n’est pas rompu, mais où il est rapport à l’absence et non plus à la présence des dieux20. Heidegger cite à l’appui le poème « La nuit », qui dit le « tourment infini » (unendliche Qual) de celui qui traverse la nuit spirituelle et qui accède ainsi à l’accomplissement de la douleur par lequel seul la conquête du ciel et de Dieu, dont parle aussi ce poème, est rendue possible, à travers ce que Trakl nomme Geduld, endurance ou patience. On comprend alors pourquoi Heidegger a insisté sur le fait qu’Elis, le jeune mort, ne doit pas être identifié à Trakl lui-même, au poète : car celui qui devient poète est d’abord celui qui écoute et suit l’étranger, c’est l’ami dont parlait le poème « À un jeune mort » et le frère dont il est question dans les poèmes de Trakl.
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