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Citation de Partemps


Pourtant, sans un tel pacte le polonais, héritier d’une civilisation huit fois séculaire et dédaignant depuis cent ans de renoncer à ce qu’elle lui a mis au cœur d’élévation, de noblesse, de hautaine indépendance, pour accepter la fraternité des puissans serviles ; le polonais apparaît en Europe comme un paria, un jacobin, un être dangereux, dont il vaut mieux éviter le voisinage fâcheux. S’il voyage, lui, grand-seigneur par excellence, il devient un épouvantail pour ses pairs ; lui, catholique fervent, martyr de sa foi, il devient la terreur de son pontife, un embarras pour son Eglise ; lui, par essence homme de salon, causeur spirituel, convive exquis, il semble un homme de rien à écarter poliment ! N’est-ce point là un calice d’amertume ? N’est-ce point là un sort plus dur à affronter qu’un combat glorieux, qui ne se prolonge pas durant toute une existence ? Néanmoins, chaque jeune-homme et chaque jeune-femme qui durant une mazoure se rencontrent une fois par hasard, ont à honneur de se prouver l’un à l’autre qu’ils sauront boire ce calice ; qu’ils l’acceptent, émus et joyeux, de la main qui pour lors le présente avec un cœur plein d’enthousiasme, des yeux pleins d’amour, un mot plein de force et de grâce, un geste plein d’élégance fière et dédaigneuse.
Mais, dans les bals on n’est pas toujours entre sui. Il faut souvent danser avec les vainqueurs ; il faut souvent leur plaire pour n’en être pas incontinent anéantis. Il faut aller chez leurs femmes et quelquefois les inviter ; il faut être près d’elles, côte-à-côte avec elles, humilies par celles qu’on méprise. Quelles sont dures les femmes des v ainqueurs quand elles apparaissent aux fêtes des vaincus ! Les unes se montrent confites dans la morgue des dames de cour sur lesquelles resplendit tout l’éclatd’une laveur impériale, insolentes avec préméditation, cruelles avec inconscience, se croyant adulées sans se sentir haïes, imaginant trôner et régner, sans apercevoir qu’elles sont raillées et tournées en dérision par ceux qui ont assez de sang au cœur, assez de feu dans le sang, assez de foi dans l’âme, assez d’espoir dans l’avenir, pour attendre des générations avant de livrer leur souvenir à la vindicte publique. Etalant le grand air d’emprunt des personnes qui savent à un cheveu près le degré d’élasticité permis au buse de leur corset, elles sont rendues plus froidement impertinentes encore par le déplaisir de se voir entourées d’un essaim de créatures, plus enchanteresses les unes que les autres et dont la taille n’a jamais connu de corset ! D’autres, parvenues enrichies, font papilloter l’éclat de leurs diamans aux veux de celles à qui leurs maris ont volé leurs revenus. Sottes et méchantes, ne se doutant quelquefois pas des taches de sang qui souillent le crêpe rouge de leur robe, mais heureuses d’enfoncer une épingle tombée de leur coiffure dans le cœur d une mère ou d’une sœur, qui les maudit chaque fois qu’elles passent en tourbillonnant devant elle, Ce qui était odieux, elles le rendent risible, en essayant de singer les grands airs des grandes dames. A observer la vulgarité des formes mongoles, la disgrâce des traits kalmouks. qui impriment encore leurs traces sur ces plattes figures, on songe involontairement aux longs siècles durant lesquels les russes durent lutter avec les hordes payennes de l’Asie. dont ils portèrent souvent le joug en gardant son empreinte barbare dans leur âme, comme dans leur langue ! Encore au jour d’aujourd’hui, le trésor de l’Etat, comme qui dirait en Europe le ministère des finances, y est appelé la tente princiére : celle où jadis se portait le plus beau du butin et du pillage ! Kaziennaia Ptilata.

Quand les femmes des vainqueurs sont en présence des femmes de vaincus, elles font toutes pleuvoir le dédain de leurs prunelles arrogantes. Ni les « dames chiffrées », celles qui portent un monogramme impérial sur l’épaule, ni les autres qui ne peuvent se targuer d’être ainsi marquées comme les génisses d’un troupeau seigneurial, ne comprennent rien à l’atmosphère où elles sont plongées. Elles ne voient ni les flammes de l’héroïsme, précurseurs de la conflagration, monter en langues étroites et frémissantes jusqu’aux plafonds dorés et là, former une voûte de sombres prophéties sur leurs têtes lourdes et vides ; ni les fleurs vénéneuses d’une future poésie sortir de terre sous leurs pas, accrocher à leurs falbalas leurs épines immortelles, s’enrouler comme des aspics autour de leurs corsages, monter jusqu’à leur cœur pour y plonger leurs dards et retomber, surprises et béantes, n’y trouvant aussi que le vide !

Pour elles toutes, le polonais n’est pas un gentilhomme, tant loui s races sont diverses et leur langage différent. Il est un vaincu, c’est-à-dire moins qu’un esclave ; il est en défaveur, c’est-a-dire au dessous de la bête honorée d une attention souveraine. Mais pour les vainqueurs, les polonaises sont des femmes. Et quelles femmes ! En est-il dont le cœur n’ait jamais été carbonisé par le regard de l’une d’elles, noir comme la nuit ou bleu comme le ciel d’Italie, pour qui il se serait damné… oui… cent fois damné… mais non perdu aux yeux du czar !… Car devant la faveur, la bassesse de l’homme et la bassesse de la femme russes sont aussi équivalentes que la livre de plomb et la livre de plume, ce qu’un proverbe constate à sa manière en disant : mon : i géna, mina saiana « Mari et femme ne font qu’un diable » ! Seulement, la livre de plomb ne bouge pas plus qu’un boulet au fond d’un sac de toile imperméable, la livre de plume remue, voltige, se lève, retombe, se relève et s’aplatit sans cesse, comme un nid de noirs papillons dans un sac de gaze transparente. Cependant, dans les poitrines couvertes du plastron de l’uniforme chamarré d’or, semé de croix et de crachats, emmédaillé et enrubanné, il y a, par dessus le boulet de plomb, on ne sait quelle étincelle d’élément slave qui vit, s’agite, qui parfois flambe. Il est accessible à la pitié, il est séduit par les larmes, il est touché par les sourires. Gare pourtant à qui voudrait s’y fier, car à côté de lui il y a tout un brasier d’élément mongol et kalmouk qui renifle la rapine. Cette étincelle réunie à ce brasier font, que le vainqueur ne se contente pas de larmes et de sourires sans argent, ni ne veut non plus de l’argent qu’avec l’assaisonnement des larmes et des sourires ! Qui dira tous les drames qui dans ces données se sont joués entre des êtres, dont l’un tend des filets d’or et de soie, recule d’effroi comme mordu par un scorpion à la pensée de s’être pris dans ses propres rets ; dont l’autre, friand et glouton à la fois, s’abreuve d’un limpide regard, s’enivre d’un doux parler, tout en palpant les billets de banque qu’il tient déjà sur son cœur.
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