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Citation de missmolko1


En ce premier jour du carnaval d'hiver, Leonora suivait un sac de farine dans le sestiere de San Marco. Or rien n'est plus difficile que de suivre un sac de farine un jour d'ouverture de carnaval. Le sac fila à travers les rues sinueuses de la paroisse San Lorenzo, puis il emprunta un étroit borgoloco en direction du rio di San Severo. Gênée par sa jupe bouffante qui la faisait ressembler à la fiancée d'Arlequin, par ses souliers en peau de chèvre dalmate dont les semelles glissaient sur les pavés de bois, par la moretta ovale qu'elle maintenait devant son visage grâce à un manche torsadé, Leonora se heurtait aux passants, masqués eux aussi, qui venaient en sens inverse, elle doublait péniblement les livreurs qui lui bouchaient le passage et risquait tout autant de causer un accident que de perdre sa cible de vue.
Au matin de ce 26 décembre 1762, Leonora s'était lancée dans l'aventure des filatures indiscrètes par suite d'une rumeur sur un trafic de marsala qui, à vrai dire, lui paraissait fort indigne d'elle. Hélas, elle était tenue de fournir en ragots le tribunal des inquisiteurs, employeur exigeant et sans états d'âme. Le sac de farine pénétra dans le corte del Pozzo Reverso, la cour du Puits Renversé, qui débouchait dans la calle Querini. La piste des trafiquants de marsala menait à l'atelier d'un pistor, un boulanger qui se servait probablement de cet alcool pour aromatiser sa fogassa.
Malgré ses efforts pour remplir son nouveau rôle d'espionne au service du bien, de la vertu et de la police, Leonora n'était pas encore parvenue à de très brillants résultats. Ses scrupules à dénoncer ses concitoyens l'embarrassaient. Double difficulté, il importait de faire l'espionne sans être soupçonnée de l'être, au risque de se voir claquer au nez, et à jamais, toutes les portes de la Dominante. Cette raison obligeait les «confidents» à n'avoir jamais l'air de ce qu'ils étaient : ils devaient dissimuler leurs activités derrière une honorable profession de façade ou se rendre invisibles aux yeux du vulgum pecus.
Leonora profita de ce que l'artisan lui tournait le dos pour se glisser derrière un amoncellement de barils d'huile. Comme elle voyait mal ce qu'il faisait, elle grimpa sur un tonneau et put enfin se livrer à l'espionnage exigé d'elle par la plus importante autorité morale de son pays.
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