Friedrich-Wilhelm von Herrmann

De Victor Farias à Emmanuel Faye, les petits esprits qui s'acharnent depuis des décennies à "nazifier" la haute pensée heideggerienne ont toujours été dépités de ne pas trouver la moindre trace d'antisémitisme dans l'oeuvre du philosophe. Or, divine surprise ! la publication des premiers "Cahiers Noirs" de Heidegger (en fait des recueils de notes de travail prises au jour le jour de 1931 jusqu'au milieu des années 1970) a révélé en 2014 quelques mots sur le "judaïsme mondial" dont se sont immédiatement emparés les professionnels du soupçon. Relayée par des universitaires jaloux et des journalistes incultes, toute une théorie délirante s'est développée, suggérant qu'un "antisémitisme inscrit dans l'histoire de l'être" (ou "antisémitisme métaphysique") permettait de faire une lecture désormais accablante des quelque 100 volumes de l'oeuvre de Heidegger. C'est à ces grotesques calembredaines ("attaques indignes" et "accusations ignominieuses") qu'ont voulu s'attaquer, avec une honnêteté et une rigueur exemplaires, deux des meilleurs spécialistes de l'oeuvre, Friedrich-Wilhelm von Hermann et Francesco Alfieri. Explications de textes et documents à l'appui, ceux-ci démontrent que ces allégations ne reposent que sur une "interprétation dissimulatrice et falsificatrice" portant sur le montage de quelques mots extraits de leur contexte (14 passages représentant deux pages et demi sur 1245 pages !). Le public français peut se faire une opinion par lui-même, puisque les Cahiers Noirs des années 1931-1939 (volumes 94 et 95 de la "Gesamtausgabe") viennent de sortir chez Gallimard. Le lecteur n'y trouvera nul "antisémitisme", mais de nombreuses critiques du national-socialisme, dont Heidegger dénonce le "principe barbare" (barbarisches Prinzip) et une vision du monde qui "n'est plus en mesure de penser et ne veut pas non plus penser quoi que ce soit".

Eléments, août septembre 2019, n°179, p.20