À l’Ouest de Tô, les tours s’élançaient à l’assaut des nuages ravagés tels des branches de métal fendues. Festonnée de cuivre et de lampadaires craquelés, la vieille ville aspirait toute la pollution verdâtre qui se déversait depuis le cœur de la cité. Les lueurs sanglantes et lointaines du centre tournoyaient dans la nuit au dessus des tours. Les étoiles perçaient les cieux d’une pâle lueur et seule la lune d’Ambre dominait les horizons de ses tiers. Séparées en trois fragments égaux, son tiers central évoquait le blanc d’un œil environné de ténèbres. Au sein d’une rue, deux garçons se battaient. Chassé par le chaos, un rat à la queue embrasée s’engouffra entre deux plaques de métal rouillées.
Shiven Exval tourbillonna à la manière d’une faux, esquivant la lame d’un pas d’ombre. Le tranchant de sa main s’écrasa contre le visage lisse de son adversaire. Ce dernier nommé Lyl s’écroula sans un bruit au coin de la ruelle ravagée. Son épée se perdit dans les brumes. Les prunelles bleu nuit de Shiven ne cillaient pas ; pas plus que ne scintillait le poignard d’argent qu’il planta près de l’oreille de l’autre. Tous les deux s’observèrent ; Lyl, blond et pâle, son ainé de trois ans, semblait avoir été taillé dans du bois mort et blanchâtre. Ses yeux de jais brillaient d’un mélange de hargne et de boissons. La fureur colorait ses joues de rouge.
Shiven s’éloignait déjà au milieu de l’assistance médusée. Ils l’avaient obligé à participer à cette soirée d’intégration inutile ; il n’avait pas cédé à leurs bêtises immatures. Il ne se soumettrait à personne, et sûrement pas à toute cette fumée, ces relents d’alcool et autres, qui avaient conquis l’assistance. Bien d’autres buts se bousculaient au sein de son esprit, là, juste sous ses cheveux sombres et courts. [...]
La Lune d’Ambre escaladait les cieux de ses ailes agitées. Des perturbations se formaient sur ses pourtours, créant des halos orange sur les flots. Ces chocs de couleur arrosaient l’île obscure comme en plein jour. Des fleurs blanches bruissaient sous les déferlements du vent silencieux. Ce long tapis naturel s’épanouissait entre des arbres aux feuilles d’ambre. Un pied botté s’abattit brutalement au milieu des plantes, déclenchant une envolée de pétales blancs et fripés.
Le Baron rejeta son long manteau gris sur ses épaules et rabattit son chapeau à large bord uni et sombre sur ses traits livides. Un reflet de sourire parcourut le miroir qu’il tenait dans le creux de sa main. Il aimait s’y admirer de manière triomphale, lorsque d’égard, tout lui réussissait. [...]
Deux ailes écarlates se balançaient en haut de ses arcs élégants, la dépouille d’un rouge-gorge phénix qui s’était cru aux portes du paradis. En dessous, des véhicules luisants et triangulaires souillaient l'atmosphère de nappes de brouillard sordides. Sur la berge paisible, une maison de cartons frémit ; l’ombre s’était retirée face à l’aurore piquante et avait percé la maigre protection.
Un jeune homme grogna dans son sommeil, réveillé par un de ces vilains rayons. Il ressemblait à un oisillon qui s’est fait pincer le dos par une mante religieuse. C’était un mauvais présage. Alinôr Vilam fouilla sa barbe, tout en reboutonnant les boutons défraîchis de sa chemise de lin trouée...