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Citation de enkidu_


Devenu roi, le chef de la tribu se conforme à l’usage de l’État, dont il est désormais le garant, en désarmant ses sujets, en commençant par sa propre tribu, principal obstacle à la levée de l’impôt et à l’affirmation de sa monarchie. Les solidarités de la tribu sont en outre rongées par le mode de vie sédentaire. L’État en effet prend en charge la défense militaire, la police et la justice, l’assistance, tout ce à quoi servaient les solidarités tribales dans la situation bédouine, ce qui rend ces solidarités inutiles. Le fonctionnement de la société sédentaire et la volonté politique du souverain convergent donc pour abolir la ‘asabiya, la force solidaire de la tribu.
(…)
Cette durée d’existence moyenne des dynasties, ou du moins des ‘asabiyat qui en constituent les assises, vaut la peine qu’on s’y arrête. On vérifiera dans le cours de la petite histoire du monde qui va suivre que le calcul d’Ibn Khaldûn est assez souvent vérifié. Mais plus remarquable encore est la démarche qui aboutit à ce résultat. Cent vingt années, nous dit Ibn Khaldûn, correspondent à trois générations de quarante ans. La durée d’une génération nous est en effet, ajoute-t-il, livrée par la Bible. Lorsqu’Il lui plut de délivrer les Hébreux d’Égypte et de leur donner la terre d’Israël pour qu’ils y établissent leur royaume, Dieu les fit errer pendant quarante ans dans le désert, afin qu’aucun de ceux qui avaient connu l’esclavage – pas même Moïse – ne survive à l’heure des combats de la conquête de la Terre promise. Des esclaves, conclut-il, auraient été non seulement incapables de l’emporter mais auraient alourdi le bras des plus jeunes guerriers des frayeurs héritées de la condition servile. Il fallait une génération neuve, rendue aux difficultés et aux solidarités de la vie bédouine par l’errance dans le Sinaï, pour fonder Israël.

Mais quand Dieu ne guide pas le cours des dynasties, elles évoluent à l’inverse, de la condition tribale à la vie urbaine, de la violence conquérante au désarmement productif et au raffinement de la civilisation. Si trois générations et cent vingt années sont nécessaires, c’est que la génération des conquérants, bien sûr, mais surtout leur exemple et leur mémoire doivent avoir disparu. La deuxième génération, dit Ibn Khaldûn, se conforme aux pratiques des fondateurs, par pure piété filiale et par crainte de rien changer à l’ordonnancement des pères, qu’elle ne comprend pourtant plus. La troisième génération comprend moins encore, et n’hésite plus à bouleverser un ordre qu’elle n’entend plus, et qui lui paraît désordre. Les dynasties ne souffrent donc pas seulement, dans leurs dernières décennies, d’incapacité miliaire, mais d’occultation de ce qui les constitue et les maintient en vie. Elles meurent le plus souvent sans comprendre, satisfaites de leur faiblesse et incrédules de leurs échec. Le déni de la réalité apaise leurs derniers instants. (pp. 21-22)
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