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Critiques de Gaëlle Gillot (1)
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Femmes, printemps arabes et revendications ..

Dans leur introduction, Gaëlle Gillot et Andrea Martinez soulignent la participation massive des femmes dans les luttes, les soulèvements et processus révolutionnaires récents. Elles interrogent, entre autres, les processus d’appropriation/réappropriation d’une citoyenneté inclusive des femmes comme sujets politiques, les revendications des militantes féministes (laïques et religieuses), les pratiques d’accès à l’espace public, les dynamiques de subjectivation politique et sociale, la construction d’une autonomie fondée « sur l’émancipation des différentes formes de tutelle maritale, paternelle et masculine »…



L’objectif du livre est de « rendre compte des reconfigurations en cours de la citoyenneté genrée dans un environnement géopolitique instable et complexe », d’examiner « les marges de liberté (ou de contre-pouvoir) inattendues, d’autonomisation et d’agentivité de différentes catégories de femme de la région Anmo au regard de leurs identités plurielles, elles-mêmes intrinsèquement liées aux positionnements et rapports sociaux qui définissent leurs conditions d’existence », de débusquer « les représentations essentialistes faisant des femmes arabo-musulmanes des victimes impuissantes de l’idéologie sexiste héritée du patriarcat et du colonialisme »…



Gaëlle Gillot et Andrea Martinez parlent d’« entité sociale située », de lien entre l’acquisition de l’égalité (en droit et en pratique) et l’éradication de la violence fondée sur le genre, de fossé entre le droit et son application, des résistances sociales à l’égalité hommes-femmes…



Compte tenu de la richesse et de la diversité des textes, je n’aborde que certains articles et certaines analyses.



Francine Descarries propose une synthèse des études féministes sur « la déconstruction des savoirs dominants et à la réappropriation des espaces privés et publics ». Les études féministes ont à la fois apporté de nouveaux regards sur les savoirs et les pratiques, mis l’accent sur les dimensions sexuées des processus sociaux. Il ne s’agit pas de simplement ajouter le point de vue des femmes mais de la transformation en profondeur « tant de notre façon de penser, de dire, de vivre ».



Les études féministes désignent à la fois : « une critique épistémologique des biais et des stéréotypes sexistes à l ‘œuvre dans la production de savoirs afin d’échapper à la cécité androcentrique, au réductionnisme de leurs analyses et au caractère « partial et partiel « (Juteau, 1981) de leurs observations et interprétations ; l’aire de production d’une pensée formulée en termes de rapports sociaux ; une démarche pour établir le sexe/genre comme catégorie critique d’analyse et poser le rapport hiérarchique entre les sexes comme un construit social sujet à transformation ; une approche méthodologique destinée à rendre visible la parole et l’expérience des femmes et à faire éclater la conception de l’activité de recherche comme activité neutre fondée sur l’objectivité »



Ces études permettent donc à la fois des prises de conscience, l’accumulation de connaissance, des formulations théoriques et des actions, l’élargissement du champ d’observation. Le questionnement des « rôles de sexe » met en évidence « l’angle mort des savoirs scientifiques ». Contre la notion de « complémentarité des sexes » défendue par les courants naturalistes, réactionnaires, masculinistes ou religieux ; contre la pensée de « marqueurs biologiques » comme « pré-sociaux », il faut insister sur l’historicité, la socialisation, les représentations sociales.



L’auteure aborde aussi les notions de neutralité, d’objectivité, de division sexuelle du travail, l’arbitraire de « la distinction sphère privée, sphère publique » et ses conséquences pour les femmes. Elle revient sur des travaux historiques et sur la diversification des perspectives théoriques, les nouvelles pratiques et tensions, ce qui divise les femmes, les dimensions antagoniques socialement construites, les inégalités, « la nécessité de revisiter conceptuellement et stratégiquement un Nous-femmes plus inclusif à partir de la position d’où il est pensé », les disparités, les « clivages socio-économiques, ethniques, religieux culturels, générationnels et d’orientation sexuelle »…



Sonia Dayan-Herzbrun revient sur les combats des femmes palestiniennes sur trois fronts « à la fois l’occupation israélienne dans le cadre de la lutte de libération nationale, les inégalités sociales et leur oppression spécifique en tant que femme ». Trois fronts que beaucoup voudraient réduire à la seule lutte de libération nationale.



L’auteure analyse « l’agir politique des femmes dans le monde arabe et musulman ». Elle critique les catégories d’enfermement géographique, le biais androcentrique faisant disparaître les femmes des récits des événements historiques, l’enfermement de l’islam et des musulman-e-s dans « des catégories culturalistes et essentialiste », la simplification des phénomènes sociaux ou des réseaux de domination.



Elle insiste sur la participations des femmes aux soulèvements insurrectionnels (et ce n’est pas une nouveauté), l’exigence de citoyenneté pour toutes et tous, l’importance de prendre en compte la colonisation et ses effets (transformation du patriarcat, « tradition » inventée, notion de « citoyenneté coloniale », divisions « communautaires et régionales », systématisation des hiérarchies de genre, dimension genrée des violences, etc.)…



Les rapports sociaux sont toujours construits aussi par les résistances, dont celles des femmes aux politiques coloniales et aux remaniements du patriarcat. Il faut entendre les voix de femmes étouffées « entre le patriarcat et l’impérialisme » et ne pas oublier la place des luttes de femmes comme dans le bassin minier de Gafsa.



L’auteure aborde aussi les systèmes juridiques hybrides, les codes de la famille, la faible place de la démocratie ou de la citoyenneté, les situations d’autoritarisme extrême. Elle termine sur les conditions réelles d’accès à la citoyenneté, la justice de genre, les droits politiques, la dignité et la justice sociale. En rappelant que « les rapports hommes/femmes (dans ce qu’ils ont de hiérarchique et d’inégalitaire) sont construit à l’intérieur de rapports historiques, sociaux, économiques bien définis », elle indique que justement « Ce sont à ces structures sociales, politiques et économiques que se sont attaquées les femmes qui ont participé massivement aux révolutions arabes, comme d’autres avant elles l’avaient fait dans le passé ».



Houria Alami M’Chichi analyse la révision du Code la famille au Maroc, les avancées en terme d’égalité entre épouse/époux, le processus d’individualisation des femmes, les normes maintenant les femmes en position de dominées, la modification de la séparation entre sphère privée et sphère publique. Elle aborde aussi les modifications des conditions électorales, la campagne d’associations féministes pour l’instauration de quota…



L’auteure souligne, entre autres, « le processus de reconnaissance des droits des femmes et le processus démocratique ont été étroitement lié ». Reste que le Mouvement du 20 février « n’a pas véritablement intégré la question de l’égalité des sexes dans ses préoccupations ».



Participation des femmes, revendications pour la démocratie et la dignité, projet de révision constitutionnelle, « la subdivision entre la reconnaissance des droits dans le champ public et les limites dans le champ du privé qui réfère à la famille et à la religion est toujours à l’ordre du jour », mais aussi « redynamisation des résistances au féminisme ».



Houria Alami M’Chichi propose des questions à explorer, liens entre genre et religion, sens des mots et concepts utilisés pour dire la citoyenneté, Mouwatana et exclusion des conflits, « elle exclut donc la prise en compte des inégalités hommes-femmes et tout conflit de genre », relations entre le mouvement social féministe et l’Etat…



J’ai particulièrement été intéressé par l’article de Leïla EL Bachiri sur le féminisme historique et le féminisme islamique au Maroc. Contexte favorisant l’éducation des filles, Huda Sharawi, luttes de libération nationale, inégalité des sexes inscrite au niveau du Code du statut personnel, argumentaire ijtihadien égalitaire de nature religieuse (« ijtihad : effort réflexif pour interpréter les textes scripturaires en fonction du contexte »), luttes historiques des féministes, revendications féministes et résistances du mouvement islamiste (principales propositions contestés : « l’élévation de l’âge du mariage à 18 ans, la transformation de la tutelle matrimoniale pour les femmes majeures d’obligation en option facultative, la substitution du divorce judiciaire à la répudiation, dont l’homme a l’exclusivité, la suppression de la polygamie (sauf exceptions), le partage des biens acquis durant la vie conjugale après le divorce »).



L’auteure insiste sur la « complémentarité » concept-clé pour les islamistes, l’opposition entre complémentarité et égalité, « cette controverse sociétale révèle un véritable conflit entre la division sexuelle des rôles brandie par les islamistes (hommes et femmes confondus) et le principe d’égalité entre les sexes revendiqué par les féministes ».



Travail des féministes historiques sur le Code de la famille, relecture féminine de l’islam, Sisters in Islam (Malaisie), « théorie coranique de l’égalité des sexes » de la théologienne afro-américaine Amina Wadud, émergence d’un féminisme islamique (« de et par l’islam ») marocain et impact sur la production de savoirs, « notre but sera de militer pour les droits des femmes musulmanes, de l’intérieur de l’islam en tant que religion, mode de vie, selon une vision globalisante et contemporaine » (Asma Lamrabet).



Leïla EL Bachiri parle d’occultation des caractères construits, de représentations essentialisées, d’enjeux pour l’égalité de genre, de nécessité d’une sécularisation du droit familial, « Autrement dit, il s’agit de préserver la liberté religieuse en tant qu’instance morale, au niveau individuel, mais de récuser une référence religieuse en tant que source de législation ou de prétention à la représentativité communautaire, au niveau collectif »



Contre les visions unilatérales et les silences confusionnistes (une chose est de lutter contre la stigmatisation des personnes se considérant ou étant considérées comme musulmanes, ici et ailleurs – islamophobie -, autre chose est de se taire sur les impositions réactionnaires ou dictatoriales, religieuses ou non), je souligne l’article de Chahla Chafiq sur l’Iran.



Les femmes ont été très visibles lors de la « révolution ». Et cela fut déterminant dans le changement d’orientation de Rouhollah Khomeiny, « il faisait des femmes l’objet de son propos, alors que dans les nouveaux discours, il s’adresse aux femmes en tant que sujets ».



L’auteure parle de l’idéologisation de l’islam (Je partage ses critiques sur l’aveuglement de l’opposition séculière de l’époque, qui au nom de la lutte anti-impérialiste et anti-dictatoriale, ne s’est pas préoccupé « du sens et de la portée de l’idéologisation de l’islam »), de l’islamisme comme utopie sociale conservatrice, de la promotion d’un nouveau modèle de femme islamique allant à l’encontre « du confinement des femmes dans l’espace privé », de l’imposition du port du voile et son extension sur les lieux de travail et à tout l’espace public, des manifestations de femmes, « La liberté n’est ni occidentale, ni orientale ; elle est universelle », du voile comme « emblème d’un ordre islamiste qui met au cœur de son projet sociopolitique la hiérarchisation sexuée ».



Chahla Chafiq souligne les désaccords exprimés de la délégation iranienne lors de la Conférence mondiale des femmes à Pékin en 1995, sur les droits sexuels des femmes, la famille, l’héritage, l’éducation sexuelle des enfants et des jeunes… Je signale que les religieux et les néolibéraux se retrouvent autour de la notion d’« équité » contre celle d’« égalité ».



L’auteure analyse la résurgence du féminisme égalitaire, les revendications démocratiques, les mobilisations mixtes, le phénomène du « mauvais voile », les projets de nouvelles restrictions pour les droits des femmes…



Au delà des analyses sur la place des femmes, il me semble que les bouleversements sociaux encours et l’accentuation des contradictions, dont la sécularisation importante malgré la chape des religieux et de leur « Corps de gardiens de la révolution », pourraient se traduire par une fermentation révolutionnaire ouvrant elle-même sur une modification substantielle des rapports de force dans cette région du monde. Les répressions accentuées contre les syndicalistes – le syndicalisme libre n’est pas autorisé, les effets de la police de mœurs et les injonctions religieuses pourraient trouver rapidement leur limites.



Les analyses de Mina Saidi-Sharouz sur les effets paradoxaux de la non-mixité, de la ségrégation sexuelle, de la féminisation des espaces publics me semble confirmer cela.



Cette auteure revient sur la ségrégation spatiale à travers l’histoire, des « cités sans femmes », l’organisation des espaces séparant hommes et femmes, « Les femmes utilisent une partie seulement de la maison, et les hommes toute la ville », la ségrégation sexuelle et l’exclusion des femmes, une forme d’« émancipation » de caractère autoritaire sous Reza Shah… et la légitimation de la place des femmes dans l’espace public sous la République islamique.



Mina Saidi-Sharouz souligne le paradoxe : « à la fois plus de contraintes sont imposée aux femmes, et en même temps elles disposent de plus de liberté de circuler ». Les femmes doivent « être toujours en mouvement » mais les déplacements sont aussi une forme de résistance à l’enfermement, elles effectuent les déplacements « seules », des lieux autrefois masculins sont transformés en lieux de « famille », voire de femmes seules… Un certain droit à la ville pour les femmes.



L’impact de la présence féminine sur les espaces urbains sont aussi importants, même si comme le rappelle l’auteure « la liberté de mouvement des femmes n’est pas définitivement acquise ». Jeu subtil de « contrôle » et de « laisser faire », la présence des femmes est de fait reconnue par les gestionnaires (dispositifs de surveillance, espaces aménagés de plus en plus nombreux – voitures entières de métro, voies piétonnes, pistes cyclables, parcs réservés aux femmes -, entrées séparées de bâtiments…). Et les femmes s’approprient ces territoires, « réagissent de plus en plus ouvertement en public », dénoncent les harcèlements… Il y a toute une symbolique à ce que les autorités aillent jusqu’à interdire certains lieux publics aux hommes célibataires, à ce que la ville se féminise « au prix d’un autre type de ségrégation sociale ».



Peut-on gérer la séparation de treize millions de femmes et d’hommes dans l’espace public ? « Plus l’Etat crée de lieux non mixtes, plus le nombre de femmes augmente à l’extérieur, plus leur désir de ville s’accroît et rend la gestion de cette séparation complexe ».



Un livre très recommandable contre l’essentialisation des habitant-e-s du monde « arabo-farsi-musulman », la non-prise en compte des femmes (du système de genre, des rapports sociaux de sexe, de la sexuation du monde) et des divisions sexuelle dans le travail ou les espaces, l’oubli volontaire des contradictions internes aux situations sociales et les luttes des femmes.
Lien : https://entreleslignesentrel..
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