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Citation de Cannetille


Il explique à Irène combien les documents administratifs de l’époque sont glaçants. Une note griffonnée au bas d’un formulaire révèle l’opportunisme d’un fonctionnaire, l’absence d’empathie pour les populations pourchassées que son autographe condamne à la mendicité, à l’exil ou à la déportation. La sécheresse de ces traces de papier est un couperet. Elle dément les justifications d’après-guerre. On n’y déchiffre aucune velléité de sauver, mais une indifférence meurtrière. — Les archives ne mentent pas, sourit Pierre. C’est pour ça que tant de gens s’évertuent à les garder sous clef.
— Irène en sait quelque chose…, dit Antoine. Raconte à Pierre la bataille de l’ouverture des fonds de l’ITS. Il va adorer.
Elle évoque les années où elle travaillait pour Max Odermatt, dans un climat empoisonné où toute initiative était découragée, voire suspecte. Tant qu’Eva était en vie, elle s’en était accommodée, parce que son amie savait contourner les règles. À sa mort, une lassitude l’avait gagnée, l’épuisement de devoir toujours lutter contre le courant, les lenteurs bureaucratiques et les lubies du directeur. Elle confie à Pierre que ce dernier se vantait de n’embaucher aucun diplômé, et interdisait aux employés de communiquer sur leurs enquêtes en cours. Y compris en interne.
— Ça revenait à saboter leur travail ! lâche-t-il, sidéré.
— Il divisait pour mieux régner, répond Irène. Il considérait l’ITS comme son domaine réservé.
— Tu oublies qu’il devait rendre des comptes, objecte Antoine. Il bossait tout de même pour le Comité international de la Croix-Rouge ! Et au-dessus, il y avait une commission internationale…
— Il refusait aussi de fournir des documents aux procureurs qui travaillaient sur les crimes nazis, ajoute-t-elle à l’intention de Pierre. Au nom de la neutralité de la Croix-Rouge.
— Parlons-en, ironise Antoine. Pendant la guerre, elle avait une fâcheuse tendance à pencher d’un côté ! Complaisants envers les dignitaires nazis, les délégués suisses avaient refusé de protester contre les déportations. Ceux qui visitaient les camps ne trouvaient rien à redire aux conditions d’internement. Une cécité diplomatique nourrie par l’antisémitisme, pointe Antoine. La neutralité s’arrangeait de ces compromissions. À la Libération, la Croix-Rouge internationale s’était donné beaucoup de mal pour qu’on les oublie. Administrer l’ITS participait d’ailleurs de cette volonté. Les délégués avaient œuvré pour construire une paix durable, et faire ratifier de nouveaux accords de Genève. Mais l’humanitaire n’excluait pas d’avoir un agenda politique. Dans la guerre froide, le CICR avait choisi son camp depuis longtemps.
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