Gaëlle Nohant : sur les traces des objets de la Shoah
“Je ne peux pas être pessimiste, parce que je suis vivant.” Je crois que nous en sommes là. Tant que nous respirons, nous continuons à croire que nos pattes de fourmi peuvent infléchir les tragédies programmées, et qu’un peu d’amour et d’intelligence suffisent à éclairer la nuit.
Entre les mains d’une jeune fille, la liberté est plus dangereuse qu’un revolver.
- Quand je vois ce qui se passe dans le monde, poursuit Federico ( Garcia Lorca) avec gravité, je me demande pourquoi j'écris, à quoi ça sert. Une pièce de théâtre n'arrête pas les balles, un poème ne retient pas le bras d'un assassin. Pourtant le travail est une forme de protestation. En tant que tel, il a un sens. Alors je continue à écrire.
"Et ces pleurs silencieux d'objets, à jamais abandonnés par leurs propriétaires. Avilis par des mains étrangères, comme des corps non enterrés qui n'ont personne pour s'occuper d'eux. Qui n'a jamais vu les sanglots d'objets morts n'a jamais rien vu ni entendu de triste."
Rachel AUERBACH extrait du poème "les sanglots des objets morts" traduit du yiddish.
Quand elle entendait dire que les romans étaient de dangereux objets entre les mains d’une jeune fille, elle ne protestait plus. Puissants et dangereux, oui, car ils vous versaient dans la tête une liberté de penser qui vous décalait, vous poussait hors du cadre.
-Mon mari est mort, lui confie la vieille dame. Il ne voulait pas que je parle du camp. Tout de suite il me coupe : « Tu es en vie, tu es rentrée. Maintenant il ne faut plus penser à tout ça. » Alors je ne disais plus rien. Je voyais qu'il ne comprenait pas.
-Qu'est-ce qu'il ne comprenait pas ?
-… Je ne suis jamais rentrée du camp. J’y suis toujours.
(p.233)
Il y a une forme d’ivresse à ne plus devoir rendre de comptes, décider de ses priorités, subvenir soi-même à ses besoins. Du plus loin que je me souvienne, la solitude m’a toujours manqué, comme on aspire à l’air des montagnes quand on grandit dans la trame serrée des villes.
" J'ai rêvé tellement fort de toi,
J'ai tellement marché, tellement parlé,
Tellement aimé ton ombre,
Qu'il ne me reste plus rien de toi.
Il me reste d'être l'ombre parmi les ombres
D'être cent fois plus ombre que l'ombre
D'être l'ombre qui viendra et reviendra
Dans ta vie ensoleillée ...."
Écrit en 1926 par "Robert Desnos" pour " La Mystérieuse ".
... ce qui nous échappe est souvent le meilleur de nous-mêmes ...
Ma plume est une aile et sans cesse, soutenu par elle et par son ombre projetée sur le papier, chaque mot se précipite vers la catastrophe ou vers l'apothéose.
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