12 mai 2017
Après trois jours et trois nuits, nous atteignons Santa Fé, près de La Havane et gagnons la marina Hemingway. À 9 h du matin, les formalités d’entrée démarrent. Deux infirmières montent à bord prendre la température de chacun d’entre nous. Puis, c’est au tour des douaniers. L’un des hommes feuillette nos livres, ouvre les coffres, déplace les caisses. Il s’arrête, circonspect, sur la machine à coudre, puis sur le lave-linge : « C’est pour un usage personnel ? ». En fouillant, il tombe sur notre robot Thermomix, calé tête en bas : « C’est un téléphone ? ». J’ai envie de rire : un téléphone de 30 cm sur 20 cm ?! Mon Dieu, ils en sont peut-être encore au Minitel… […] Ensuite, il soulève le matelas de la bannette avant, avise un sac suspect et me demande ce qu’il contient. Je réponds « des habits ». Il enchaîne : « Les vôtres ? » Bon sang, les miens, ceux de mon mari, de ma grand-mère, quelle importance ? Il s’empare du sac et l’ouvre. Mince ! il est rempli de câbles téléphoniques. Il ne sourcille même pas et c’en est fini de la fouille. Ces quelques échanges suffisent à nous prévenir : Cuba, ça va être différent.
— Kaoha nui Maria ! Kaiu vaiu !
La femme s’arrêta, leva la tête en direction d’Hélène et partit d’un grand rire, son opulente poitrine aussi. Ce qui fit accourir François.
— D’où tu sors ça ?, demanda Maria, dont le mètre 60 était bien enrobé.
— C’est Nahuiotiu, le pêcheur du poti mārara jaune qui m’a appelée comme ça ce matin : « Belle femme ». Plutôt mignon ?
— Ah ! Il s’est bien fichu de toi. Kaiu vaiu, ça veut dire « petits titis ».
Et comme les Français ne comprenaient pas mieux, elle saisit ses seins plantureux et traduisit :
— Petits seins, poitrine maigrichonne !
Maintenant François riait à gorge déployée; après une hésitation marquée de dépit, Hélène se força à sourire, mais le mal était fait.
Les longues navigations ouvrent toujours les portes d’un espace-temps à part. Rapidement, les heures perdent toute signification, le temps s’étire, puis s’épuise entre la naissance de l’aube, le coucher du soleil et le lever de lune. Seuls ces événements retournent la clepsydre et nous relient à un monde connu. Entre ces marqueurs, on attend, on patiente, on somnole, on rêve, on réfléchit. Dans cet état vaporeux, quantité de souvenirs me reviennent en mémoire…