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Citation de Partemps


Le complexe d’Atlas par Gaston Bachelard (1947)


Dans ce court article, nous voudrions attirer l’attention sur des aspects dynamiques de la contemplation des grands spectacles de la Montagne. Les poètes et les philosophes ont souvent décrit ces spectacles. Les alpinistes ont fait bien souvent le récit dramatique de leurs ascensions. Mais ces tableaux et ces aventures, par leur caractère brillant et par leur caractère passionné peuvent masquer des impressions plus rares et plus cachées qu’un philosophe occupé à étudier le dynamisme des images se doit de classer.
Les impressions que nous voulons faire revivre sont les impressions de verticalité. Il semble en effet que par delà la participation aux images de la forme et de la splendeur, il y ait pour l’homme rêvant devant la montagne une participation dynamique. Le décor majestueux appelle l’acteur héroïque. La Montagne travaille l’inconscient humain par ses forces de soulèvement. Immobile devant le mont, le rêveur est déjà soumis à la dialectique de l’assise et des cimes. Il peut être transporté, du fond de son être, par un élan vers les sommets, et alors il participe à la vie aérienne de la Montagne. Il peut vivre au contraire une sensation toute terrestre d’écrasement. Il se prosterne corps et âme devant une majesté. Mais ces mouvements intimes d’une contemplation dynamique ont bien d’autres inflexions, ils déterminent bien d’autres nuances psychologiques. Ces nuances sont parfois si délicates qu’elles ne peuvent être exprimées que par les poètes. C’est donc aux poètes que nous nous adresserons pour révéler l’inconscient de la Montagne, pour recevoir les leçons diverses de la verticalité.
Les impressions de verticalité induite que nous retiendrons vont des plus douces sollicitations aux défis les plus orgueilleux, les plus insensés.

II

Donnons d’abord un exemple des impressions verticales les plus douces et les plus mobiles.
Elisabeth Barrett Browning rêve dans un coin de l’Angleterre, avec, dans l’âme, les souvenirs de l’Italie perdue. Elle contemple :

… les vallonnements légers du sol,
(Comme si Dieu avait touché, non pas pressé
Du doigts, en faisant l’Angleterre) – hauts et bas
De verdure – rien en excès, ni hauts ni bas;
Terre ondulée; coteaux si petits que le ciel
Peut y descendre tendrement, les blés monter…
(Anthologie de la Poésie anglaise, ED. Stock, Trad. Louis Sazamian)

Qu’on prenne toute la mesure de cette sensibilité verticale ! Le dieu modeleur travaille tout en caresses. les forces de relief se mettent alors à l’échelle de sa délicatesse : le ciel descend aussi doucement que le blé monte, la colline respire… En elle, plus rien ne pèse. par elle, rien ne s’élance trop loin dans l’espace. La colline nous a placés entre ciel et terre. Elle nous a donné, juste à notre mesure, ce qu’il nous faut de vie verticale pour que nous aimions gravir doucement la pente où s’étagent les vergers et les moissons.
Toute l’âme des collines est dans les vers du poète. Le poème peut servir comme un test de la douce verticalité. Il suffira pour révéler l’image dynamique si caractéristique des paysages de coteaux et de chemins creux. Il nous apprendra à lire les poèmes de la verticalité.

III

Mais prenons un relief plus imposant. Considérons, par exemple, le mont comme synonyme d’une majesté écrasante. Le Mont de Verhaeren est une image dynamique qui n’a pas besoin d’être dessinée pour dire son hostile pesanteur :

Ce mont,
Avec son ombre prosternée,
Au clair de lune, devant lui,
Règne, infiniment, la nuit,
Tragique et lourd, sur la campagne lasse.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Les clos ont peur du colossal mystère
Que recèle le mont.

(Verhaeren, Les Visages de la Vie. Le Mont. Ed. Mercure de France, p.309)

« Ce mystère colossal » un peu naïf dans la poétique du poète flamand, est le mystère d’une pesanteur immobile. Par la suite, dans le développement du poème de Verhaeren, un autre thème interviendra qui déplacera l’intérêt. La peur du colossal mystère, par le virement noram, donnera une inventive curiosité qui cherchera à l’intérieur du mont des richesses endormies. La poésie de Verhaeren visant souvent à une éloquence multiple mêle les genres et de ce fait s’affaiblit. Mais la données première du poème donne une assez nette image d’un mont qui écrase une plaine, qui propage son écrasement sur un large pays plat qui l’entoure.
La montagne réalise vraiment le Cosmos de l’écrasement. Dans les métaphores, elle joue le rôle d’un écrasement absolu, irrémédiable; elle exprime le superlatif du malheur pesant ets ans remède. Matho dit à Salambo (p. 90) : « c’étaient comme des montagnes qui pesaient sur mes jours ».
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