D'UNE RIVE À L'AUTRE
J'habite la vallée et j'habite les cimes
Je vais de l'horizon au coeur de l'homme
Le remplis le vent d'ailes et de vagues
D'une rive à l'autre je me construis
J'imagine en ma chair ma propre délivrance
Notre sang fleurira sur les veines du sol
Notre langue a le poids de nos poings nus
Notre jeunesse affirme un songe nécessaire
Car nos yeux sont les yeux souffrants de l'arbre
Nos bouches sont des feuilles en plein vent
Et nos bras des branches portant la pluie
Et toute la mémoire su soleil
Mon pays a franchi ses frontières de mort
Mon pays sort debout sur le seuil du printemps
Là-bas à l'Est un fleuve se mêle à la mer
La mer a pris mon pays par la main
Pour la douceur et les tourments du monde...
C’est ta joie que j’écris
C’est ta joie que j’écris sur les neiges blanches
Sur l’écorce dure des arbres, à tous les carrefours
Pour me souvenir du chemin
Pour me souvenir de l’unique vérité
C’est ta joie que j’écris sur ma table de travail
Sur les croix du pardon
Sur le manger sans nappe des pauvres
Sur les pierres vieillies d’une rue oubliée
C’est ta joie que j’écris partout dans ma mémoire
Sur la couleur brusquement désunie d’une rivière
Sur un vieux désir
Qu’on n’arrive jamais à bien comprendre
C’est ta joie que j’écris sur les triomphes du jour
Afin qu’il me prenne par la main
Comme un enfant qui apprend à marcher
À nommer le pain, l’eau, les plantes, le sommeil
Les mots faciles de tout le monde
Pour me conduire loin à l’intérieur de la vie
Pour unir les yeux dans l’amitié de demain
Musiques peintes
Ne parle plus
Écoute
Les rubis se brisent
Dans les soleils D’automne
Et leurs splendeurs
Font des étoiles de matin
Au cœur de tes yeux
Étoiles que le vent égare
Sans allure
À travers ta chevelure
À travers mes sommeils
De bohème
Les rubis en se brisant
Ont des musiques
De rêve obscur
Des demeures en feu.
Ma langue est d'Amérique
Je suis né de ce paysage
J'ai pris souffle dans le limon du fleuve
Je suis la terre et je suis la parole
Le soleil se lève à la plante de mes pieds
Le soleil s'endort sous ma tête
Mes bras sont deux océans le long de mon corps
Le monde entier vient frapper à mes flancs
J'habite la vallée et j'habite les cimes
Je vais de l'horizon au coeur de l'homme.
Je remplis le vent d'ailes et de vagues
D'une rive à l'autre je me reconstruis.
J'apprends mes mots selon le frisson de mes sens
Ma bouche est une double cicatrice
Un double horizon découpe mes yeux
Vulnérable on m'a jeté parmi les hasards
Je ferai une échelle de mon corps
Et étendrai mes bras en largeur de la terre
Je me tiendrai debout entre deux vents contraires
Mon enfance est un sapin plein de neige
Mon enfance est un prisme dans l'espace.
Parler encore pour tenter la vie,
Pour risquer le tout ;
Parler pour arracher de soi ces enfants morts,
Ces cris avortés;
Parler pour effacer la peur, la honte;
Parler pour rendre visible le coeur du temps,
Pour rendre possible l'humanité;
Essayer encore une fois
Pour faire un pas de plus.
LE CHEVALIER DE NEIGE
Première image premier chant sous la rosée
Comme une lueur dans nos pas
Un matin de souvenirs naturels.
Mon pays a franchi ses frontières d'exil
Mon pays vient parler sur la place du monde.
Nous levons les yeux à la hauteur du feu
Nos chantiers ont la chaleur du pain brut
Nos villes ont la face ardente des forêts
Nous appelons le bonheur d'aujourd'hui
Et l'espérance des bêtes
Nous appelons la mesure de l'homme
Pour le premier visage des saisons
Neige comme un reflet sur nos épaules
Neige plus forte qu'une enfance.