AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de DonaSwann


Peu à peu l'abbé, Edmée et moi-même par la suite nous vîmes à bout de lui faire connaître Homère et Dante. Il était si frappé des événements, qu'il pouvait faire l'analyse de la Divine Comédie d'un bout à l'autre sans oublier ni transposer la moindre partie du poète : là se bornait sa puissance. Quand il essayait de se ressaisir quelques-unes des expressions qui l'avaient charmé à l'audition, il arrivait à une abondance de métaphores et d'images qui tenaient du délire. Cette initiation de Patience à la poésie marqua dans sa vie une époque de transformation. Elle lui donna en rêve l'action qui manquait à son existence réelle. Il contempla dans son miroir magique des combats gigantesques, vit des héros hauts de dix coudées ; il compris l'amour, qu'il l'avait jamais connu ; il combattit, il aima, il vainquit, il éclaira les peuples, pacifia le monde, redressa les torts du genre humain, et bâtit des temples au grand esprit de l'univers. Il vit dans la sphère étoilée tous les dieux de l'Olympe, pères de la primitive humanité ; il lut dans les constellations l'histoire de l'âge d'or et celle des âges d'airain ; il entendit dans le vent d'hiver les chants de Morven, et salua dans les nuées orageuses les spectres de Fingal et de Comala. "Avant de connaître les poètes, disait-il dans ses dernières années, j'étais comme un homme à qui manquerait un sens. Je voyais bien que ce sens était nécessaire, puisque tant de choses en sollicitaient l'exercice. Je me promenais seul la nuit avec inquiétude, me demandant pourquoi je ne pouvais dormir, pourquoi j'avais tant de plaisir à regarder les étoiles que je ne pouvais m'arracher à cette contemplation, pourquoi mon cœur battait tout d'un coup de joie en voyant certaines couleurs, ou s'attristait jusqu'aux larmes à l'audition de certains sons. Je m'en effrayais quelquefois jusqu'à m'imaginer, en comparant mon agitation continuelle à l'insouciance des autres hommes de ma classe, que j'étais fou. Mais je m'en consolais bientôt en me disant que ma folie m'était douce, et j'eusse bien mieux aimé n'être plus que d'en guérir. A présent, il me suffit de savoir que ces choses ont été trouvées belles de tous temps par tous les hommes intelligents, pour comprendre ce qu'elles sont et en quoi elles sont utiles à l'homme. Je me réjouis dans la pensée qu'il n'y a pas une fleur, pas une nuance, pas un souffle d'air qui n'ait fixé l'attention et ému le cœur d'autres hommes, jusqu'à recevoir un nom consacré chez tous les peuples. Depuis que je sais qu'il est permis à l'homme, sans dégrader sa raison, de peupler l'univers et de l'expliquer avec ses rêves, je vis tout entier dans la contemplation de l'univers ; et quand la vue des misères et des forfaits de la société brise mon cœur et soulève ma raison, je me rejette dans mes rêves ; je me dis que, puisque tous les hommes se sont entendus pour aimer l’œuvre divine, ils s'entendront aussi un jour pour s'aimer les uns les autres. (...)"
Commenter  J’apprécie          00









{* *}