Quelques matinales que soient les cloches pour l'Angélus du matin,elles ne prennent jamais au lit le cultivateur vigilant. Et quand le jour s'éteint, avant que le ciel et la terre s'étoilent, l'Angélus monte doux et calme dans l'espace pour inviter à la prière, au repas et au repos; il est accueilli avec une ferveur discrète qui fait incliner les fronts et élever les esprits.
A cette époque, les couleurs artificielles dites d'aniline étaient inconnues, et l'on employait des matières colorantes végétales : indigo, curcuma, rocou, carthame, orseille et aussi quelques couleurs minérales comme le bleu de Prusse.
Chevreul étudia les propriétés et Faction de toutes ces substances. Il publia le résultat de ses recherches dans quatorze mémoires importants, présentés à l'Académie des sciences de 1836 à 1864. Il devait compléter cette étude à maintes reprises dans les années suivantes. Chevreul fit
aussi aux Gobelins, de 1826 à 1840, un Cours de chimie appliquée à la teinture. Ce cours, publié en 1829, comprend trente leçons dont les deux dernières seulement sont consacrées aux matières tinctoriales.
Napoléon était en guerre avec l'Angleterre et, pour appliquer le « système continental », il fallait remplacer par des produits indigènes tous ceux que naguère on importait. Les savants de l'Empire napoléonien aidaient de leurs conseils. aux essais des agriculteurs et des industriels. On parvint ainsi à substituer le sucre de raisin, puis celui de betterave au sucre de canne, l'eau-de-vie de grains ou de betterave au rhum, la chicorée au café. La culture de la pomme de terre se répandit partout en France ; on y produisit du tabac et des plantes tinctoriales. La disette de notre pays en matières colorantes fut telle que, en 1806, on vit des régiments d'infanterie vêtus de blanc comme sous les rois, parce qu'on n'avait rien pour teindre le drap en bleu.
Chevreul aménagea de son mieux les locaux qui lui étaient réservés, acheta des appareils et se mit au travail. L'hostilité sourde des services de fabrication, sur lesquels il n'avait ni autorité ni contrôle, ne lui permit pas de développer toutes les conséquences de ses recherches. Il s'appliqua du moins à perfectionner la théorie du contraste des couleurs et à augmenter nos connaissances chimiques sur la teinture.
En poursuivant ses propres recherches de laboratoire, Chevreul assistait Vauquelin dans son enseignement et ses travaux. A partir de 1809, il le suppléa pour le cours de chimie qui se faisait dans l'amphithéâtre particulier de la rue du Vieux-Colombier ; en 1810 enfin, il était nommé à sa première fonction officielle, « aide naturaliste chargé des analyses », au Muséum, avec un traitement annuel de 1.500 francs.