AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de StCyr


Je suis étendu sous une tente. Je fais semblant de dormir, pour qu’on me laisse tranquille, mais je ne dors pas. Je pense.
Je pense à cette armée que je vais quitter. Je l’envisage froidement, laissant de côté toutes mes haines.

C’est une chose mauvaise. C’est une institution malsaine, néfaste.
L’armée incarne la nation. L’histoire nous met ça dans la tête, de force, au moyen de toutes les tricheries, de tous les mensonges. Drôle d’histoire que celle-là ! Dix anecdotes y résument un siècle, une gasconnade y remplit un règne. Batailles ! batailles ! combats ! Elle a osé fourrer la Révolution dans la sabretache des généraux à plumets et jusque dans le chapeau de Bonaparte, comme elle a fait bouillir le grand mouvement des Communes qui précéda la bataille de Bouvines dans le chaudron où les marmitons de Philippe-Auguste ont écumé une soupe au vin. Elle prêche la haine des peuples, le respect du soudard, la sanctification de la guerre, la glorification du carnage…
Ah ! Mascarille ! toi qui voulais la mettre en madrigaux, l’Histoire !
Elle nous a donné le chauvinisme, cette histoire-là ; le chauvinisme, cette épidémie qui s’abat sur les masses et les pousse, affolées, à la recherche d’un dictateur.
L’armée incarne la nation ! Elle la diminue. Elle incarne la force brutale et aveugle, la force au service de celui qui sait lui plaire et ― c’est triste à dire, mais c’est vrai ― de celui qui peut la payer.
« Cela s’est fait, mais ne se fera plus. » Si, la blessure ne se guérira point. La gangrène y est.
L’armée, c’est le réceptacle de toutes les mauvaises passions, la sentine de tous les vices. Tout le monde vole, là-dedans, depuis le caporal d’ordinaire, depuis l’homme de corvée qui tient une anse du panier, jusqu’à l’intendant général, jusqu’au ministre. Ce qui se nomme gratte et rabiau en bas s’appelle en haut boni et pot-de-vin. Tout le monde s’y déteste, tout le monde s’y envie, tout le monde s’y torture, tout le monde s’y espionne, tout le monde s’y dénonce. Cela, au nom de soi-disant principes de discipline dégradante, de hiérarchie inutile. Avoir un grade, c’est avoir le droit de punir. Punir toujours, punir pour tout. De peines corporelles, naturellement ; celles-là seules sont en vigueur… Ah ! c’est triste qu’un bout de galon permette à un homme de mettre en prison son ennemi ― ou de faire fusiller son camarade.
L’armée, c’est le cancer social, c’est la pieuvre dont les tentacules pompent le sang des peuples et dont ils devront couper les cent bras, à coups de hache, s’ils veulent vivre.
Ah ! je sais bien : le patriotisme !… Le patriotisme n’a rien à faire avec l’armée, rien ; et ce serait grand bien, vraiment, s’il n’était plus l’apanage d’une caste, la chose d’une coterie, l’objet curieux que des escamoteurs ont caché dans leur gibecière, et qu’ils montrent de temps en temps, mystérieux et dignes, à la foule béante qui applaudit. Ce sentiment-là, je crois, n’est pas forcément cousu au fond d’un pantalon rouge. Il y a peut-être autant de patriotisme dans l’écrasement banal d’un maçon qui tombe d’un échafaudage ou dans la crevaison ignorée d’un mineur foudroyé par un coup de grisou, que dans la mort glorieuse d’un général tué à l’ennemi. Et il y a de bons patriotes, voyez-vous, qui haïssent la guerre, mais qui la feraient avec joie ― si l’on tentait d’assassiner la France ― parce qu’ils auraient l’espoir grandiose, ceux-là, non pas d’écraser un peuple, mais d’anéantir, avec le gouvernement qui le régit, toutes les tendances rétrogrades, féodales, anachroniques ― le caporalisme.
Commenter  J’apprécie          30





Ont apprécié cette citation (3)voir plus




{* *}