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EAN : 9782842613716
360 pages
Le Serpent à plumes (03/11/2002)
4.12/5   40 notes
Résumé :
Biribi paru en 1889, moins de vingt ans après la défaite de la France. Il dénonçait le sadisme des chaouchs, les adjudants, dans les bataillons disciplinaires, les brimades incessantes, les routes tracées dans le désert tunisien à force de vies humaines sacrifiées. Biribi n'était pas un bagne mais l'ultime punition que l'armée réservait à ses réfractaires. Libertaire plutôt qu'anarchiste, Darien échoua à Biribi pour sa vingtième année, ayant accumulé manquement à la... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (9) Voir plus Ajouter une critique
Biribi n'est pas fait pour les bénis oui oui mais pour les fortes têtes des "Bat d'Af" comme Jean Froissard qui y sont envoyées manu militari. Là bas, tu chômes pas mon p'tit apache, tu casses du matin au soir comme au bagne des cailloux, pas beaucoup la croûte, tu construis des routes sous le soleil de midi et quand t'obéis pas aux Chaouchs ou que t'es pas en forme du genou, y'a la torture comme la crapaudine. On t'attache les pieds et les mains dans le dos et on te fait griller comme une sauterelle au soleil. Et t'as super soif. Alors Froissard , il dénonce tout ça. Les gradés comme ce sergent corse, ce sont de belles enflures, ils t'envoient aussi sec au peloton ou au mitard pour un oui ou un non mais faut pas ramper devant eux qu'il dit, tu restes la tête haute avec le petit sourire narquois. Ils veulent te mater pour que tu rentres dans le rang mais ils peuvent se rhabiller les cochons...
Biribi est un roman antimilitariste en grande partie autobiographique. Il sent le vécu ! Georges Darien en a bavé comme un chameau pendant quelques années à Biribi et y raconte l'enfer des camps disciplinaires et de la hiérarchie militaire .L'auteur enrage à toutes les pages. L'insoumis du XIXe siècle n'a pas pris une ride contrairement à d'autres auteurs . Lui, c'était un vrai, un dur, un tatoué. Allez, je vais écouter la complainte de Biribi d'Aristide Bruand et puis je rempile avec Bas les coeurs ! et le Voleur.
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Jean Froissard, avatar de Darien lui-même, devance l'appel et s'engage volontairement dans l'armée pour cinq ans. Ce choix se révèle vite mauvais : incapable de s'adapter au formatage de la personnalité qu'on lui impose, il ne prend pas au sérieux les tâches absurdes qu'on lui fait faire. Il conserve toujours un reste de liberté qui le pousse à prendre la discipline par dessus la jambe et à s'attirer les foudres de ses supérieurs. Les punitions s'accumulent et se transforment en une condamnation dans les Compagnies de discipline en Tunisie pour le reste de son engagement, soit trois ans.

Dans ce bagne, tout est bon pour corriger ces mauvais éléments : leur comportement est pris comme excuse pour infliger les punitions les plus sévères. Punitions qui provoqueront un jour ou l'autre un mouvement de révolte chez les prisonniers, aussitôt utilisé comme prétexte pour renforcer la cruauté du traitement : torture digne du moyen-âge, prison avec juste assez de nourriture et d'eau pour survivre (et encore, pas toujours), travail harassant qui mène à la mort les plus affaiblis.

Froissard ne tient le compte que grâce à la haine qui l'habite. Haine envers les supérieurs qui n'ont de compte à rendre à personne et qui profitent largement de leur supériorité, haine envers les gardiens qui ont conscience de l'ignominie du bagne mais qui obéissent aux ordres sans broncher, haine envers les citoyens en France qui ferment pudiquement les yeux sur ce qui se passe dans les bagnes au nom de la sécurité.

Darien ne cherche pourtant à provoquer ni la pitié ni les larmes : ce qu'on retient de son texte, c'est le besoin de liberté et la rage de voir des hommes traités si cruellement pour des fautes si maigres. Cinquante ans après ce récit, la France a fait fermer ses bagnes, mais les Biribi doivent toujours pulluler à la surface du globe.
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Impossible de faire un papier sur ce livre puissant, sur cette langue riche alternant langage soutenu, argot du bagnard, descriptions fabuleuses des choses, des paysages et des gens, ces phrases magnifiques sans taper dans le texte ! Georges Darien est un grand écrivain et son livre Biribi à ranger aux côtés du Voyage au bout de la nuit (Céline), des Raisins de la colère (Steinbeck), de Si c'est un homme (Primo Levi) de la peur (Gabriel Chevalier) entre autres références. Chant de misère, de colère et d'une haine cultivée, arrosée de sueur, de sévices, de tortures, de faim, de soif, d'envies suicidaires, de travaux forcés, d'angoisse, de coups (pieds, poings, nerfs de boeuf...), de soleil brulant de toutes les souffrances...par un être conscient et malheureux de la bêtise et de l'injustice criante de son temps.


Ce qu'il me faut, ce que je veux emporter d'ici, tout entière, terrible et me brûlant le coeur, c'est la haine ; la haine que je veux garder au dedans de moi, sous l'impassibilité de ma carcasse. Car la haine est forte et impitoyable; le temps ne l'émousse pas; elle ne transige point. Elle s'accroît avec les années ; chaque jour d'abjection l'augmente ; chaque heure d'indignation la féconde, chaque larme la fait plus saine, chaque grincement de dents plus implacable.


Tout au long de son oeuvre Georges Darien esprit humaniste éclairé va s'engager contre les bourgeois, les catholiques, les antisémites, les nationalistes revanchards, les colonialistes, les exploiteurs mais aussi les pauvres qu'il fustige de se laisser soumettre ! Ici il débite sa tranche de vie en petits dés pour dépeindre une vie qui pouvait basculer à tout moment dans une tombe et un oubli total.

C'est pour cela que nous devons secouer notre apathie et lire des livres de ce type, pour dire non !

Se taire, faire parti de, ne pas hésiter à passer dans le camp des bourreaux seule solution pour échapper à l'horreur d'un siècle, de la brutalité des armées qui donneront 14/18 puis 39/45.

Les trois années volées à Froissard l'avatar de Darien sont à placer sous le signe de l'injustice d'une époque où l'individu n'est rien, pire où l'individu qui revendique est voué à l'exclusion.

La conscription en 1872, se fait par tirage au sort les numéros les plus bas font un service de cinq ans, les autres d'un an seulement. En 1889, la durée du service est fixée pour tous à trois ans, les numéros servant désormais à déterminer l'arme d'affectation. Pour Froissard rien de tout ça puisqu'il s'engage en 1881 pour cinq ans poussé la violence familiale et la perpétuelle incompréhension d'ainés qui giflent brutalement avec des mots un adolescent qui se cherche.


Quand tu seras soldat, je te conseille, mon ami, de continuer à discuter avec ton insolence habituelle. Sais-tu ce qu'on te fera, si tu raisonnes, si tu es insolent ? hein ? le sais-tu ?

— Non, mon oncle.

— On te passera par les armes.

— On t'exécutera, dit ma tante.

— On te fusillera, dit ma cousine.

Et lui de rester de marbre

— Quand tu auras des galons, mon ami… Souviens-toi bien de ce que je vais te dire, grave-le dans ta mémoire.

— Oui, mon oncle.

— Quand tu auras des galons, ― sois sévère, mais juste.

Il ferme la porte.


Au XIXè siècle, le début de la conquête coloniale fait de l'Afrique du nord une nouvelle zone de relégation. L'armée française y implante des bagnes militaires qui lui permettent de se débarrasser de ses "mauvais sujets". le parcours est simple les mauvaises personnes où jeunes gens n'ayant pas grand chose à se reprocher mais aussi des "communards" tout ce qui peut gêner une société bourgeoise qui se sert d'une armée pourrie jusqu'à la moëlle, d'une dureté, d'une injustice invraisemblable (point d'orgue la guerre de 14 où des millions de pauvres bougres seront précipités dans des cercueils tranchées) sont exclus, rejetés en Afrique du Nord dans les Bat'd'Af (Bataillons d'infanterie légère d'Afrique). L'armée française refoule donc les mauvaises têtes dans ce vaste archipel pénitentiaire, éparpillé en chantiers ou camps itinérants intimement liés à l'avancée de la colonisation. Froissard/Darien commence en France mais s'ennuie tellement qu'il faute : c'est les Bat'd'Af puis trop de punitions par insoumission dans son régiment lui valent trois ans en bataillon disciplinaire après un conseil de corps expéditif en forme de double peine. "Fatalitas" nous crie Chéri Bibi depuis Cayenne : c'est BIRIBI !


Or, la discipline ― on l'a dit ― la discipline, c'est la peur. Il faut que le soldat ait plus peur de ce qui est derrière lui que de ce qui est devant lui ; il faut qu'il ait plus peur du peloton d'exécution que de l'ennemi qu'il a à combattre.

C'est la peur. le soldat doit avoir peur de ses chefs. Il lui est défendu de rire lorsqu'il voit Matamore se démasquer et Tranche-Montagne se métamorphoser en Ramollot. Il lui est défendu de s'indigner quand il voit commettre ces vilenies ou ces injustices qui vous soulèvent le coeur. Il lui est défendu de parler et même de penser, ses chefs ayant seuls le droit de le faire et le faisant pour lui. Et s'il rit, s'il s'indigne, s'il parle, s'il pense, s'il n'a pas peur, alors malheur à lui ! C'est un indiscipliné : disciplinons-le ! c'est un insurgé : matons-le ! Donnons un exemple aux autres ! ― Au bagne ! ― À Biribi !


Ces camps de travaux forcés sont le refuge des corrompus de tous grade, de cheffaillon sordides qui n'attendent que ça pour devenir des tortionnaires. Il y règne une injustice révoltante à laquelle certains forçats répondent par la haine en cultivant une vengeance improbable. Lutte du pot de terre contre le pot de fer. Nombreux seront les morts, les brisés, les récupérés...pas Froissard !


Torture :

— Et on les a supprimés, ces silos ?

— Oui, il y a un mois environ. On y avait mis un type auquel on avait attaché les mains derrière le dos. Il y est resté près de quinze jours. À midi et le soir on lui jetait, comme d'habitude son bidon d'eau qui se vidait en route et son quart de pain qu'il attrapait comme il pouvait. Je me souviens que, pendant les cinq ou six derniers jours, il criait constamment pour qu'on le fît sortir. Enfin, quand on l'a retiré, il était à moitié mangé par les vers.

— Oui, mangé par les vers, reprend le perruquier qui a fini de me couper les cheveux et remue un vieux blaireau dans un quart de fer blanc. Tu comprends bien qu'ayant les mains attachées derrière le dos, il ne pouvait pas se déculotter. Il était forcé de faire ses besoins dans son pantalon. À force, les excréments ont engendré des vers et les vers se sont mis à lui manger la chair. Il avait le bassin et le bas-ventre à moitié dévorés. On l'a porté à l'hôpital et il est mort huit jours après. le médecin en chef a fait du pétard et a réclamé au ministère. Alors, on a supprimé les silos.


Le visage du forçat :

Prey est bien un fou, un pauvre fou. Aucune proportion entre les lignes de cette face bestiale qui porte tatoué : «Pas de chance» sur le front où descendent des cheveux hérissés ; le maxillaire inférieur avançant sur le supérieur et laissant entrevoir la pointe acérée des canines; les yeux injectés de sang. On sent que, chez cet être au cerveau déséquilibré, la conscience n'existe pas. On sent que, dans sa naïveté cynique, il n'hésiterait pas à se servir, pour étendre du fromage sur son pain, du lingre à la virole (petit couteau type opinel) encore rouge avec lequel il aurait suriné, la veille, un pante (bourgeois) au coin d'une borne. Un de ces prédestinés des fins lugubres, poussés vers le crime par une fatalité inéluctable, et sur le berceau desquels le couperet sinistre de la guillotine a projeté son ombre triangulaire. Je connais peu de sa vie. le peu qu'il en sait lui-même et qu'il m'a raconté en riant, d'un air triste, avec des expressions baroques, magnifiques et atroces, qui font couler dans le dos le froid d'une lame de couteau et qui jettent parfois comme un rayon d'or sur des remuements de boue : le père au bagne, la mère indigne, la maison de correction à treize ans... Toute l'épopée lamentable d'un de ces parias dans la pauvre âme desquels la société ne sait pas voir et dont elle jette un jour le cadavre, la bourgeoise jouisseuse, dans le panier sanglant du bourreau.


Beauté d'une phrase cryptique, d'une description

Mon rêve a glissé sur le pavé gras dont la pente mène à l'égout, et s'en va à vau-l'eau, maintenant, roulé par les flots sales de ce fleuve qui coule, bête et jaune, dans les brumes grises, et dont le courant se partage, au tranchant des piles du pont, sans un bruissement, sans un bruit, sans une écume.

Les maisons aux hautes façades pâles, aux fenêtres mornes, les longues avenues au sol cendré et froid où tremblotent les squelettes ridicules des arbres violets, le ciel blafard et décoloré comme une vieille bâche, les silhouettes vilaines des édifices mangés par les vapeurs caligineuses que piquent déjà les points jaunes des becs de gaz, les taches noires et frissonnantes des passants qui glissent vite, silencieusement..


Peur

Ce n'est que par la peur que le système militaire a pu s'établir. Ce n'est que par la peur qu'il se maintient. Il doit peser sur les imaginations par la terreur, comme il doit remplir d'obscurité l'âme des peuples pour les empêcher de voir au delà de l'horizon stupide des frontières.


Stupidité de l'armée :

Aucune de ces phrases : « Au commandement, Haut pistolet ! ― La baguette en avant ― Les rênes passées sur l'encolure » ne font bondir votre coeur dans votre poitrine, m'a dit l'autre jour le capitaine-instructeur.

Malheureusement, on est assez porté, dans l'armée, à juger de l'intelligence d'un homme d'après le degré de luisant et de poli qu'il est capable de donner à un bout de fer ou à un morceau de cuir.
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Darien était un libertaire. Dès le début de ce récit trop authentique pour ne pas être autobiographique, on le voit en conflit avec sa famille, témoignant d'un caractère indépendant et revêche, et même sans connaître le sujet du livre, je suis persuadé qu'au moment où on le voit s'engager dans l'armée, je me serais de toute façon dit : oula, quelle bêtise est-il en train de faire ?
Cette erreur de jeunesse, ce manque de clairvoyance, il va les payer au prix fort. Car dans les années 1880, période dorée pour les "compagnies disciplinaires" d'Afrique du Nord, alias Biribi, on ne plaisante ni avec l'insoumission, ni avec l'indiscipline.
Ayant lu juste avant l'enquête à charge du journaliste Jacques Dhur, ultérieure de plus de 15 ans au "roman" de Darien, je n'ai pas été foncièrement étonné par la nature des sévices psychologiques et physiques subis par ces bagnards (il n'y a pas d'autre mot). Cela ne fait que les confirmer, ce qui ne les rend pas moins gravissimes pour autant.
Ce qui semble incroyable en revanche, c'est que ni le précurseur Darien en 1890, ni Jacques Dhur en 1915, puis 1925, n'aient réussi à mettre fin à ce scandale, malgré leur médiatisation. Il faudra attendre Albert Londres pour voir les choses s'améliorer, et encore, ce qui porte hélas à croire que ces traitements honteux et inhumains étaient communément acceptés par l'opinion publique.
Darien écrit bien. Son style est imagé, parfois poignant, et je lirai certainement quelques-uns de ses autres romans, d'autant qu'ils ne sont pas non plus légion. Parfois, dans ses emportements de colère militants, il se montre un peu trop lyrique, si ce n'est pompeux, se rapprochant dangereusement du style grandiloquent (oh ! ah !) d'un Zévaco par exemple, et c'est dans ces apostrophes introspectives qu'il m'a parfois un peu gonflé.
Nonobstant, le témoignage en lui-même vaut le détour, et il constitue une preuve – s'il en était besoin – du caractère totalement contre-productif de ces usines à torture. Car ce que Darien a rapporté de Biribi, de son propre aveu, ce n'est pas une hypothétique soumission, contrition ou rédemption, pas même un peu d'amendement, non. Ce qu'il en a rapporté, c'est juste une haine inexpiable.
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Biribi est un terme aux sonorités qui ne sont pas sans rappeler le babil d'un nourrisson, mais qui désigne tout autre chose; on est plus proche des souffrances de l'enfer que des douceurs des langes. Biribi désigne les camps disciplinaires où on envoyait les militaires récalcitrants, les insoumis, les indisciplinés. Avec se livre, présenté comme un roman, à la veine fortement autobiographique, Georges Darien fait oeuvre pie, en apportant son témoignage, sous forme de réquisitoire, contre un système abjecte de représailles institutionnalisé par le pays des droit de l'homme et du citoyen.

Justement, dans les années 1880, on refusait la qualité de citoyen à l'homme du rang, soumis à tous les caprices éhontés de leurs supérieurs; à peine leur était reconnu la qualité d'être humain, tant la litanie des vexations, des sévices, des tortures, voire des meurtres parfois, dont ces hommes furent victimes, présentée dans cette écrit, en manière de coup de point, est ici édifiante. L'abjection des chaouch, ces gardes chiourmes en majorité corses, torturant leurs camarades et montant des machinations contre leur têtes de turques; la corruption des gradés, faisant leur beurre sur la besogne de réprouvés corvéables à merci; l'hypocrisie foncière d'un système inhumain et injuste prônant la soumission aveugle et totale, la délation et la suspicion entre les soldats; tout est rendu frappant et émouvant dans cette oeuvre qui relève plus du pamphlet, du cri d'indignation, que du simple récit plus ou moins autobiographique.

Un brûlot donc, une bombe incendiaire, que cette oeuvre, dénotant un courage véritable et une belle liberté de conscience - quand on sait quel esprit militariste dominait la société française de cette époque-là -, expression à fleur de peau de la rage et de la colère qu'ont éveillé, en son auteur, l'expérience douloureuse des camps disciplinaires
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Citations et extraits (27) Voir plus Ajouter une citation
Ah ! pauvre petit soldat, toi qui es mort en appelant ta mère, toi qui, dans ton délire, avais en ton oeil terne la vision de ta chaumière, tu vas dormir là, rongé, à vingt-trois ans, par les vers de cette terre sur laquelle tu as tant pâti, sur laquelle tu es mort, seul, abandonné de tous, sans personne pour calmer tes ultimes angoisses, sans d'autre main pour te fermer les yeux que la main brutale d'un infirmier qui t'engueulait, la nuit, quand tes cris désespérés venaient troubler son sommeil. Ah ! je sais bien, moi, pourquoi ta maladie est devenue incurable. Je sais bien, mieux que le médecin qui a disséqué ton corps amaigri, pourquoi tu es couché dans la tombe. Et je te plains, va, pauvre victime, de tout mon coeur, comme je plains ta mère qui t'attend peut-être en comptant les jours, et qui va recevoir, sec et lugubre, un procès-verbal de décès...

Eh bien ! non, je ne te plains pas, toi, cadavre ! Eh bien ! non, je ne te plains pas, toi, la mère ! Je ne vous plains pas, entendez-vous ? pas plus que je ne plains les fils que tuent les buveurs de sang, pas plus que je ne plains les mères qui pleurent ceux qu'elles ont envoyés à la mort.

Ah ! vieilles folles de femmes qui enfantez dans la douleur pour livrer le fruit de vos entrailles au Minotaure qui les mange, vous ne savez donc pas que les louves se font massacrer plutôt que d'abandonner leurs louveteaux et qu'il y a des bêtes qui crèvent, quand on leur enlève leurs petits ? Vous ne comprenez donc pas qu'il vaudrait mieux déchirer vos fils de vos propres mains, si vous n'avez pas eu le bonheur d'être stériles, que de les élever jusqu'à vingt et un ans pour les jeter dans les griffes de ceux qui veulent en faire de la chair à canon ? Vous n'avez donc plus d'ongles au bout des doigts pour défendre vos enfants ?
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- Nous sommes réunis, vous le savez, pour décider de votre envoi aux Compagnies de discipline. Qu'avez-vous à dire pour votre défense ?
- Deux choses : 1° Que ma conduite n'a pas été mauvaise depuis mon entrée au service ; elle n'a commencé à l'être que du jour où les taquineries et les vexations de toute nature m'ayant poussé à bout, je suis devenu une de ces têtes de Turc sur lesquelles frappe à tour de bras l'aveugle cohue des galonnés ; que, d'ailleurs, dans l'armée, quand un homme a commencé à mettre le pied dans le bourbier des punitions, on n'essaye pas de le retirer, on l'enfonce. 2° Que, si j'ai commis des fautes - et, je le fais remarquer en passant, toutes fautes contre la discipline - je les ai expiées et que je ne crois pas qu'on puisse, raisonnablement, châtier deux fois, pour le même délit, un individu, si malintentionné qu'il soit. Que, par conséquent, j'ai beaucoup de peine à comprendre pourquoi l'on veut, aujourd'hui, m'infliger une peine énorme précisément parce que j'en ai déjà subi un nombre considérable.
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Je suis étendu sous une tente. Je fais semblant de dormir, pour qu’on me laisse tranquille, mais je ne dors pas. Je pense.
Je pense à cette armée que je vais quitter. Je l’envisage froidement, laissant de côté toutes mes haines.

C’est une chose mauvaise. C’est une institution malsaine, néfaste.
L’armée incarne la nation. L’histoire nous met ça dans la tête, de force, au moyen de toutes les tricheries, de tous les mensonges. Drôle d’histoire que celle-là ! Dix anecdotes y résument un siècle, une gasconnade y remplit un règne. Batailles ! batailles ! combats ! Elle a osé fourrer la Révolution dans la sabretache des généraux à plumets et jusque dans le chapeau de Bonaparte, comme elle a fait bouillir le grand mouvement des Communes qui précéda la bataille de Bouvines dans le chaudron où les marmitons de Philippe-Auguste ont écumé une soupe au vin. Elle prêche la haine des peuples, le respect du soudard, la sanctification de la guerre, la glorification du carnage…
Ah ! Mascarille ! toi qui voulais la mettre en madrigaux, l’Histoire !
Elle nous a donné le chauvinisme, cette histoire-là ; le chauvinisme, cette épidémie qui s’abat sur les masses et les pousse, affolées, à la recherche d’un dictateur.
L’armée incarne la nation ! Elle la diminue. Elle incarne la force brutale et aveugle, la force au service de celui qui sait lui plaire et ― c’est triste à dire, mais c’est vrai ― de celui qui peut la payer.
« Cela s’est fait, mais ne se fera plus. » Si, la blessure ne se guérira point. La gangrène y est.
L’armée, c’est le réceptacle de toutes les mauvaises passions, la sentine de tous les vices. Tout le monde vole, là-dedans, depuis le caporal d’ordinaire, depuis l’homme de corvée qui tient une anse du panier, jusqu’à l’intendant général, jusqu’au ministre. Ce qui se nomme gratte et rabiau en bas s’appelle en haut boni et pot-de-vin. Tout le monde s’y déteste, tout le monde s’y envie, tout le monde s’y torture, tout le monde s’y espionne, tout le monde s’y dénonce. Cela, au nom de soi-disant principes de discipline dégradante, de hiérarchie inutile. Avoir un grade, c’est avoir le droit de punir. Punir toujours, punir pour tout. De peines corporelles, naturellement ; celles-là seules sont en vigueur… Ah ! c’est triste qu’un bout de galon permette à un homme de mettre en prison son ennemi ― ou de faire fusiller son camarade.
L’armée, c’est le cancer social, c’est la pieuvre dont les tentacules pompent le sang des peuples et dont ils devront couper les cent bras, à coups de hache, s’ils veulent vivre.
Ah ! je sais bien : le patriotisme !… Le patriotisme n’a rien à faire avec l’armée, rien ; et ce serait grand bien, vraiment, s’il n’était plus l’apanage d’une caste, la chose d’une coterie, l’objet curieux que des escamoteurs ont caché dans leur gibecière, et qu’ils montrent de temps en temps, mystérieux et dignes, à la foule béante qui applaudit. Ce sentiment-là, je crois, n’est pas forcément cousu au fond d’un pantalon rouge. Il y a peut-être autant de patriotisme dans l’écrasement banal d’un maçon qui tombe d’un échafaudage ou dans la crevaison ignorée d’un mineur foudroyé par un coup de grisou, que dans la mort glorieuse d’un général tué à l’ennemi. Et il y a de bons patriotes, voyez-vous, qui haïssent la guerre, mais qui la feraient avec joie ― si l’on tentait d’assassiner la France ― parce qu’ils auraient l’espoir grandiose, ceux-là, non pas d’écraser un peuple, mais d’anéantir, avec le gouvernement qui le régit, toutes les tendances rétrogrades, féodales, anachroniques ― le caporalisme.
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L'armée incarne la nation ! Elle la diminue. Elle incarne la force brutale et aveugle, la force au service de celui qui sait lui plaire et - c'est triste à dire, mais c'est vrai - de celui qui peut la payer.

«Cela s'est fait, mais ne se fera plus.» Si, la blessure ne se guérira point. La gangrène y est. L'armée, c'est le réceptacle de toutes les mauvaises passions, la sentine de tous les vices. Tout le monde vole, là-dedans, depuis le caporal d'ordinaire, depuis l'homme de corvée qui tient une anse du panier, jusqu'à l'intendant général, jusqu'au ministre. Ce qui se nomme gratte et rabiau en bas s'appelle en haut boni et pot-de-vin.

Tout le monde s'y déteste, tout le monde s'y envie, tout le monde s'y torture, tout le monde s'y espionne, tout le monde s'y dénonce. Cela, au nom de soi-disant principes de discipline dégradante, de hiérarchie inutile. Avoir un grade, c'est avoir le droit de punir. Punir toujours, punir pour tout. De peines corporelles, naturellement ; celles-là seules sont en vigueur... Ah ! c'est triste qu'un bout de galon permette à un homme de mettre en prison son ennemi - ou de faire fusiller son camarade.
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Les anciens entament le Chant des camisards, un chant monotone et plaintif dont j'entendrai bien des fois encore retenir des couplets ; un chant noirci par la résignation du paria et plaqué de rouge par l'ironie du galérien qui rêve de briser sa chaîne :

Savez-vous ce qu'il faut faire
En ce lieu ?
Il faut tout voir et se taire,
Nom de Dieu !...
Nos Chaouchs, qui sont des vaches,
Nous emmerdent, nous attachent,
Mais sur leur gourite on crache
Quand on peut.

Et tous en cœur, ils se mettent à chanter le refrain :

Répétons à l'envi
Ce refrain sans souci :
Vivent l'amour et le vin,
La danse, les joyeux festins !
Oui, tout cela reviendra,
Oui tout cela reviendra,
Quand le diable le voudra !
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