De fait, l’érémitisme est un terrain privilégié pour développer le sens de l'humour : l'homme seul a un interlocuteur intime – lui-même. Sans avoir à rechercher l'effet, le brillant, sans attendre l'admiration des autres pour son trait d'esprit, il pratique l'humour pur, dépouillé, réduit à l'essentiel : l'autodérision en vase clos, fermée sur elle-même. L'humour solitaire, c'est l'humour absolu, par distanciation à l'égard de soi-même, sans illusion, sans recours, sans interférence extérieure. C'est dans le face-à-face lucide avec soi-même que l'on atteint le sommet de l'humour. La tricherie est inutile : il n'y a personne à tromper. Authentique et vrai, je me moque de moi-même ; impitoyable et tendre, je me dévoile ma propre misère. Je m'accuse et je m'excuse en même temps ; je me méprise et je m'aime, totalement, ironiquement. Je suis double, pour un moment : deux êtres contradictoires qui se moquent l'un de l'autre et qui, comme des particules de signes opposés, s'anéantissent lorsqu'ils se joignent, pour devenir pur énergie, dans l'action quotidienne irréfléchie.