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Citation de art-bsurde


La société de l'autonomie individuelle sécrète des solitaires dépressifs. Le processus est multiforme. L'individu, plus que jamais confronté à l'obligation de faire des choix en permanence, se sent pleinement responsable de ses échecs. Ce n'est évidemment pas un hasard si l'existentialisme s'est développé au moment de la révolution de l'autonomie : l'homme s'éprouve comme pure liberté, comme existant, élaborant son essence dans l'angoisse. L'individu a en outre le devoir de « s'accomplir ». Dans une société où tout est affaire de séduction, il faut savoir se vendre, faire preuve de motivation, de dynamisme, donner une image positive de soi. Le culte du look et du corps, la hantise des signes de vieillissement et des traits disgracieux sont une obsession supplémentaire. Il faut à la fois être différent et reconnu de ses pairs. Et toutes ces obligations sont beaucoup plus pesantes que ne l'étaient les règles sociales d'autrefois, qui ne requéraient qu'obéissance et conformisme.
Aux contraintes de la société du narcissisme s'ajoutent les contraintes et frustrations de la société de consommation qui, pour écouler une production de masse, a besoin de consommateurs isolés. Tous pareils et tous différents. Créer des besoins massifs en profondeur et encourager la personnalisation superficielle ; faire croire à chacun qu'il est unique, tout en le réduisant à l'état de clone indifférencié. Pour cela, créer un climat hédoniste, encourageant la satisfaction immédiate des besoins et abolissant les interdits, ce qui suppose la disparition des valeurs transcendantales et de toute idée d'un sens de l'existence ; instaurer la liberté de choix, privilégier l'initiative individuelle, la nécessité pour chacun de s'affirmer, de se faire une place.
L'atmosphère euphorique est entretenue par les fêtes, célébrations, jeux, animations, émissions centrés sur le narcissisme. Tous ces éléments combinés créent un climat propice à une prise de conscience de la solitude individuelle.
[...]
Des individus atomisés dans une société atomisée. Plus de gravitation, plus d'attraction : les atomes s'entrechoquent au hasard de la liberté, affichant indifférence et détachement. Dans cette bouillie sociale, le besoin de reconnaissance et de domination ne peut plus s'appuyer sur des codes et des valeurs unanimement acceptés. Il ne peut être satisfait que dans un combat permanent de tous contre tous, où tous les coup sont permis. La déréglementation généralisée aboutit à la mêlée ; ce n'est même plus la loi de la jungle, c'est la jungle sans lois, où chacun n'a plus que des droits, tous les droits, à une seule condition : être capable de les faire valoir. Les conseillers en communication et experts du coaching sont là pour nous apprendre à nous débarrasser de nos angoisses, de nos inhibitions, de nos anxiétés ; il faut être fort, froid, impitoyable pour survivre, pour « tirer son épingle du jeu ». Cet état de guerre généralisée, que Hobbes et Locke imaginaient au début de l'humanité, dans l'état pré-civilisé, apparaît comme l'étape actuelle de la civilisation.
Que cette situation soit à l'origine d'un mal de vivre sans précédent est une évidence. Tout individu qui n'est pas à la hauteur est piétiné. Tous ceux qui sont des perdants, pour des raisons physiologiques autant que psychologiques, sont déclassés. Le besoin d'attirer l'attention pour se sentir exister engendre de nouvelles névroses et de nouveaux déséquilibres : conduites et tenues toujours plus osées, mise à nu de son intimité, devoir d'indifférence afin de développer l'indépendance affective, détachement affecté, autant de comportements qui sont sources de frustrations, de déstabilisation et de solitude.


XXe siècle
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