L’automobile du généraliste, une Peugeot 203 grise toute neuve, roule à vive allure sur la petite départementale qui mène au chef-lieu de commune. Lorsque le véhicule passe sur le pont qui joint les deux versants de la vallée, les pneus crissent sur le revêtement de cette route ponctuée de nombreux virages. Il voit maintenant la faible lueur que dispensent les deux ou trois lampes du centre du bourg. Il tournera avant les premières maisons, à la vieille croix de fer, d’où part une voie à peine praticable en voiture. Il aperçoit dans le faisceau doré de ses phares le panneau indiquant le nom du village : « Saint-Christophe ». Il ralentit et s’engage dans le chemin. Cette piste, bordée de murets de pierres sèches, le mènera à environ une centaine de mètres de la route, jusqu’à la ferme isolée des « Enjôleras ». Le jeune couple est installé là depuis moins de deux années, dans la ferme ancestrale du mari, située à l’écart du village. Marguerite, la maîtresse de maison, attend son premier enfant. Sylvie Dubois qui, depuis qu’elle a vingt-trois ans, fait accoucher toutes les femmes de la commune et même quelquefois bien au-delà, ne s’en sort pas. Le bébé se présente mal et malgré ses presque trente-cinq ans de pratique, elle a préféré courir jusqu’au café de monsieur le Maire, la seule maison qui possède le téléphone, pour faire appel au médecin du canton. Nous sommes en 1950.