Si les Juifs ont une seule revendication à faire, c'est celle-ci : que ceux qui sont morts de faim ou par suite de mauvais traitements, les petits qui n'ont pas résisté à la première gorgée de lait enfin administrée, après des mois d'inanition, dans les pays d'accueil, les femmes traitées à coups de pied et de crosse de mitraillette, les nourrissons lancés en l'air et tirés comme des oiseaux, soient mis dans les rangs de tous les autres morts, avec toutes les victimes de cette guerre. Soldats, eux aussi, comme les autres soldats.
Et si un jour on voulait donner une décoration à ceux qui sont tombés, ce n’est certainement pas nous, les Juifs rescapés, qui la refuserions ; mais qu’on ne frappe pas de médailles différentes, qu’on n’imprime pas de diplômes spéciaux : que ce soient les médailles et les diplômes des autres soldats : ‘Soldat Cohen…Soldat Levi… Soldat Abramovic… Soldat Chaim Blumenthal, âgé de cinq ans, tombé à Leopoli, au milieu des siens, qui, les mains attachées derrière le dos, défendait encore la cause de la liberté et témoignait pour elle.
Eux seuls connaissaient les raisons de cet enfer. Et la vraie raison était peut-être justement qu'il n'y en avait aucune : l'enfer gratuit, pour qu'il semble plus mystérieux, et par conséquent plus inquiétant.