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Citation de pierre31


CHANT NOCTURNE D'UN BERGER ERRANT DE L'ASIE

Que fais-tu, Lune, au ciel ? dis-le-moi, que fais-tu,
Lune emplie de silence ?
Tu te lèves le soir et vas
Contemplant les déserts, puis te perds.
N'es-tu pas lasse encore
De courir les chemins éternels ?
N'es-tu pas assouvie, peux-tu rêver toujours
De revoir ces vallées ?
Elles ressemblent à ta vie,
Les années du berger.
Il se lève aux premières blancheurs,
Pousse au loin le troupeau par les champs,
Et voit troupeaux, sources, prairies,
Puis las il se repose vers le soir ;
Il n'est rien qu'il espère jamais.
Dis-moi, Lune, à quoi sert
Au berger sa propre vie ?
Et votre vie à vous ? Dis-moi : où tendent
Mon errance éphémère,
Ton parcours immortel ?
 
     Vieillard fragile et blanc,
Vêtu à peine, les pieds nus,
Le dos chargé d'un lourd fardeau,
Par les monts, les vallées,
Dans les rochers coupants, le sable, les buissons,
Sous le vent, la tempête, lorsque s'enflamme
L'heure et puis qu'elle se glace,
Il court, halète et court,
Passe torrents, marais,
Tombe, et se relève, et plus en plus se presse,
Sans pose, sans repos,
Ensanglanté, meurtri, jusqu'à venir
Là où sa route
Et sa longue fatigue le menaient :
Abîme horrible, immense,
Où, tombant, il perd mémoire du Tout.
Lune sans tache, telle
Est la vie du mortel.
 
     L'homme naît à grand-mal ;
Pour lui, naître, c'est risquer de mourir.
Ce qu'il éprouve d'abord,
C'est la peine et le tourment; et dès son premier jour,
Et sa mère et son père
Se prennent à le consoler de sa naissance.
Et puis comme il grandit,
L'un et l'autre le soutiennent, et toujours,
Par des gestes et des mots,
S'efforcent de lui donner du cœur,
De le réconforter d'être homme.
Plus douce charge,
Les parents n'en ont pas envers leurs fils.
Mais pourquoi donner au jour,
Pourquoi tenir en vie
Celui qu'il faut consoler d'elle ?
Si la vie est malheur,
Pourquoi en porter la douleur ?
Intacte Lune, telle
Est la vie des mortels.
Mais tu n'es pas mortelle,
Et sans doute mes mots ne t'importent.
 
     Et toi, solette, éternelle passante,
Si pensive, peut-être comprends-tu
Ce qu'est ce vivre
Terrestre, notre passion, notre soupir, ce qu'est
Notre mourir, cette ultime
Pâleur de l'apparence,
Et de périr à la terre et de quitter
Les familières, les aimantes présences.
Toi, certes, tu entends
Le sens des choses et vois le fruit
De l'aurore, du soir,
De l'aller infini et silencieux du temps.
Toi, c'est sûr, tu sais à quel amour
Rit le printemps,
A qui plaît la chaleur, ce que poursuit
L'hiver avec ses glaces.
Tu connais mille choses, tu en vois mille
Qui sont cachées au modeste berger.
Souvent, quand je te vois
Rester muette ainsi sur la plaine déserte
Qui dans son cours lointain touche au ciel,
Ou bien, avec mes bêtes,
Me suivre voyageant pas à pas,
Et quand au ciel je vois que brûlent les étoiles,
Je dis, pensant en moi :
Mais pourquoi tant de flammes ?
Que fait l'air infini, l'infini
Ciel profond ? que veut dire l'immense
Solitude? et moi, qui suis-je ?
Ainsi je parle en moi - et de cette demeure
Superbe et sans mesure,
Et du peuple sans nombre,
Et de tant de labeurs, de mouvements
Des choses célestes, et des choses terrestres,
Qui roulent sans repos
Pour retourner toujours d'où elles sont venues,
Aucun but, aucun fruit
Je ne puis deviner ; mais toi, c'est sûr,
Jeune fille immortelle, tu connais le Tout.
Moi, je connais et je sens
Que des cercles éternels,
Que de mon être fragile,
D'autres, peut-être, recevront quelque bien
Ou plaisir. Pour moi la vie est mal.
 
     O mon troupeau qui reposes, ô bienheureux
Qui ne sais pas, je crois, ta misère,
Quelle envie je te porte !
Non seulement d'aller
Presque libre de peine,
Car privations, angoisses et maux,
Tu les oublies aussitôt,
Mais surtout de n'éprouver jamais l'ennui.
Quand tu reposes à l'ombre, sur les herbes,
Tu es paisible et content ;
Et tu consumes ainsi
Sans dégoût de longs jours de l'année.
Mais moi, quand je m'étends à l'ombre, sur les herbes,
Un ennui vient m'encombrer
L'esprit, comme une pointe me brûle,
Si bien que, reposant, je ne puis davantage
Trouver demeure ou paix.
Pourtant de rien je n'ai désir,
Ni jusqu'ici de raison de pleurer.
Ce que tu aimes, le peu dont tu jouis,
Je ne le sais ; mais tu es bienheureux.
Moi, je ne jouis guère,
O mon troupeau, mais ce n'est pas ma seule plainte.
Si tu savais parler, je te dirais:
Dis-moi pourquoi, gisant
Au repos, sans contraintes,
Tout animal s'apaise,
Quand moi, si je m'étends au calme, l'ennui me prend ?
 
 
     Si j'avais l'aile peut-être
Pour voler au-dessus des nuages,
Et compter une à une les étoiles,
Ou pour errer comme l'orage de cime en cime,
Je serais plus heureux, mon doux troupeau,
Plus heureux, blanche Lune.
Ou peut-être, en contemplant
Le sort des autres, se fourvoie-t-elle, ma pensée :
Peut-être en toute forme, dans tout être,
Dans le terrier ou le berceau,
Jour funèbre est pour qui naît le jour natal.
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