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Citation de Cielvariable


À cette heure précise où les buses s’installent autour de
la piscine, les parachutistes français, dans leurs transats de
résine, se donnent des airs de Rambo. Ils reniflent toutes
les chairs féminines qui s’ébattent dans l’eau puant le
chlore. La fraîcheur importe peu. Il y a du vautour dans ces
militaires au crâne rasé à l’affût au bord d’une piscine qui
est le centre de l’étal, là où s’exhibent les morceaux les plus
rouges et les plus persillés, autant que les flasques et les
maigres bouts de chair féminine dont l’unique distraction
est ce plan d’eau. Dans la piscine, le dimanche et tous les
jours vers cinq heures, quelques carcasses rondouillettes
ou faméliques troublent l’eau sans se douter que les paras
n’ont peur ni de la cellulite ni de la peau que seule l’habitude
retient aux os. Si elles savaient quel danger les
menace, elles se noieraient d’extase anticipée ou entreraient
au couvent.
En ce dimanche tranquille, un ancien ministre de la
Justice se livre à d’intenses exercices d’échauffement sur le
tremplin. Bien sûr, il ignore que ces amples moulinets font
glousser les deux prostituées dont il attend un signe de
reconnaissance ou d’intérêt pour se jeter à l’eau. Il veut
séduire car il ne veut pas payer. Il percute l’eau comme un
bouffon désarticulé. Les filles rient. Les paras aussi.
Autour de la piscine, des coopérants québécois rivalisent
de rires bruyants avec des coopérants belges. Ce ne
sont pas des amis ni des collègues, même s’ils poursuivent
le même but: le développement, mot magique qui habille
noblement les meilleures ou les plus inutiles intentions. Ce
sont des rivaux qui expliquent à leurs interlocuteurs
locaux que leur forme de développement est meilleure
que celle des autres. Ils ne s’entendent finalement que
sur le vacarme qu’ils créent. Il faudrait bien inventer un
mot pour ces Blancs qui parlent, rient et boivent pour que
la piscine prenne conscience de leur importance, non,
même pas, de leur anodine existence. Choisissons le mot
«bruyance», parce qu’il y a du bruit, mais aussi l’idée de
continuité dans le bruit, l’idée d’un état permanent, d’un
croassement éternel. Ces gens, dans ce pays timide, réservé
et souvent menteur, vivent en état de bruyance, comme
des animaux bruyants. Ils vivent également en état de rut.

Le bruit est leur respiration, le silence est leur mort, et le
cul des Rwandaises, leur territoire d’exploration. Ce sont
des explorateurs bruyants du tiers-cul. Seuls les Allemands,
quand ils descendent en force sur l’hôtel comme
un bataillon de comptables moralisateurs, peuvent rivaliser
de bruyance avec les Belges et les Québécois. Les Français
d’importance ne fréquentent pas cet hôtel. Ils se barricadent
au Méridien avec les hauts gradés rwandais et
avec les putes propres qui sirotent du whisky. À l’hôtel, les
putes sont rarement propres. Elles boivent du Pepsi en
attendant qu’on les choisisse et qu’on leur offre de la bière
locale, ce qui leur permettra peut-être de se voir offrir plus
tard un whisky ou une vodka. Mais, en femmes réalistes,
elles se contentent aujourd’hui d’un Pepsi et d’un client.
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