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Citation de Charybde2


Un livre n’a pas d’objet ni de sujet, il est fait de matières diversement formées, de dates et de vitesses très différentes. Dès qu’on attribue le livre à un sujet, on néglige ce travail des matières, et l’extériorité de leurs relations. On fabrique un bon Dieu pour des mouvements géologiques. Dans un livre comme dans toute chose, il y a des lignes d’articulation ou de segmentarité, des strates, des territorialités ; mais aussi des lignes de fuite, des mouvements de déterritorialisation et de déstratification. Les vitesses comparées d’écoulement d’après ces lignes entraînent des phénomènes de retard relatif, de viscosité, ou au contraire de précipitation et de rupture. Tout cela, les lignes et les vitesses mesurables, constitue un agencement. Un livre est un tel agencement, comme tel inattribuable. C’est une multiplicité – mais on ne sait pas encore ce que le multiple implique quand il cesse d’être attribué, c’est-à-dire quand il est élevé à l’état de substantif. Un agencement machinique est tourné vers les strates qui en font sans doute une sorte d’organisme, ou bien une totalité signifiante, ou bien une détermination attribuable à un sujet, mais non moins vers un corps sans organes qui ne cesse de défaire l’organisme, de faire passer et circuler des particules asignifiantes, intensités pures, et de s’attribuer les sujets auxquels il ne laisse plus qu’un nom comme trace d’une intensité. Quel est le corps sans organes d’un livre ? Il y en a plusieurs, d’après la nature des lignes considérées, d’après leur teneur ou leur densité propre, d’après leur possibilité de convergence sur un « plan de consistance », qui en assure la sélection. Là comme ailleurs, l’essentiel, ce sont les unités de mesure : quantifier l’écriture. Il n’y a pas de différence entre ce dont un livre parle et la manière dont il est fait. Un livre n’a donc pas davantage d’objet. En tant qu’agencement, il est seulement lui-même en connexion avec d’autres agencements, par rapport à d’autres corps sans organes. On ne demandera jamais ce que veut dire un livre, signifié ou signifiant, on ne cherchera rien à comprendre dans un livre, on se demandera avec quoi il fonctionne, en connexion de quoi il fait ou non passer des intensités, dans quelles multiplicités il introduit et métamorphose la sienne, avec quels corps sans organes il fait lui-même converger le sien. Un livre n’existe que par le dehors et au-dehors. Ainsi, un livre étant lui-même une petite machine, dans quel rapport à son tour mesurable cette machine littéraire est-elle avec une machine de guerre, une machine d’amour, une machine révolutionnaire, etc. – et avec une machine abstraite qui les entraîne ? On nous a reproché d’invoquer trop souvent des littérateurs. Mais la seule question quand on écrit, c’est de savoir avec quelle autre machine la machine littéraire peut être branchée, et doit être branchée pour fonctionner. Kleist et une folle machine de guerre, Kafka et une machine bureaucratique inouïe… (et si l’on devenait animal ou végétal par littérature, ce qui ne veut certes pas dire littérairement ? ne serait-ce pas d’abord par la voix qu’on devient animal ?). La littérature est un agencement, elle n’a rien à voir avec de l’idéologie, il n’y a pas et il n’y a jamais eu d’idéologie.
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