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Citation de hcdahlem


Mélancolie
La mélancolie entre en moi. Elle préfère l’automne ou l’hiver, les lumières grises et les brumes qui recouvrent les parcs des institutions psychiatriques. Elle obscurcit les âmes et s’y réfugie tout entière. Elle évacue la joie et la bonne humeur. Les plafonds, le ciel, même, ressemblent à un couvercle en verre sous lequel je peine à rester droit. Je n’ai plus rien d’un I majuscule. Tout juste un e rabougri. Je regarde le sol. J’ai cent ans. L’âge de maman, penchée sur son déambulateur.
La mélancolie prend toute la place. Elle étire ses pattes visqueuses dans mon corps qui s’engourdit à sa merci. Elle se débarrasse du passé et de l’avenir. Elle m’oblige à vivre le présent comme seul horizon. Elle n’aime ni la vie, ni les couleurs. Elle m’ôte l’espoir, l’envie et le désir. Hippocrate la définissait autrefois comme un trouble des humeurs. Les médecins ont emprunté ce doux nom de mélancolie pour décrire cette maladie mentale qui développe le sentiment d’incapacité, la tristesse profonde, l’absence du goût de vivre. Elle survient sans prévenir. À peine ai-je senti une grande nervosité, la fatigue et le vain sentiment que plus rien ne semblait possible. Les peurs grimpent comme le lierre sur l’arbre. La panique poursuit la raison et souvent la rattrape. La dépression me possède, elle dédouble ma personnalité, tout en laissant ma conscience intacte. La tristesse m’envahit, plus rien ne me fait sourire. Tout relève alors d’un effort surhumain. Pourquoi me lever le matin, alors que la bête resterait au lit à ne rien faire, sinon dormir ? Pourquoi se laver, aller jusqu’à la salle de bains qui me paraît si loin ? Ou rester sous la douche tandis que l’eau coule, que mon corps s’affaisse sur le carreau et que l’eau tiède le recouvre d’une fine pellicule, pareille au placenta d’une mère ? Pourquoi répondre au téléphone et dire que tout va mal quand personne ne m’écoute vraiment ? Et tous ces gens qui s’inquiètent et m’envoient marcher ou courir, quand tout ce qui m’intéresse est une mort lente, sombrer dans le noir, avaler des somnifères jour et nuit pour que le corps épuisé trouve enfin sa place. Cette bête en moi retient toutes les horloges du monde. Le temps ne sera plus le même, tant que l’animal me domine. Il va falloir égrener les heures comme un sablier filmé au ralenti. Pas seulement parce que la zone cérébrale est atteinte et que certains efforts ressembleront à des poids trop lourds. Tout ce que j’entreprends est retardé par la dépression, et le temps qui joue un rôle essentiel dans l’évolution de la maladie mentale me paraît hors d’atteinte. Le regard que je porte sans cesse à ma montre, au réveil, me renvoie à un film d’anticipation où l’heure serait presque toujours la même.
La nourriture n’a plus le même goût. Elle ne me rassasie plus, elle me dégoûte. Avec les médicaments, il me faut constamment boire de l’eau, ce liquide qui, très vite, provoque en moi la nausée de vivre, comme un sentiment de noyade, de submersion. Chaque gorgée me donne envie de vomir mes tripes. Ma vie résiste, goutte d’eau débordante et dérisoire.
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