AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations de Grégory Rateau (80)


Cette belle critique sur la Cause littéraire :

"Grégory Rateau signe là son premier roman, vif, acéré, tranchant, comme le sont les libanais qu’il croise, qui traversent son film, qui infiltrent son roman. Il ne prend pas de gants, il écrit au crochet, à l’uppercut, gauche, droite, gauche, droite, jusqu’au round suivant. La langue de Grégory Rateau s’offre ainsi, rêche, dure, elle vient de la rue, elle en a l’âpreté, la virulence et la vitalité. Noir de soleil témoigne de tout cela, face au soleil, et face à la mer, dans des noces imaginaires."

http://www.lacauselitteraire.fr/noir-de-soleil-gregory-rateau-par-philippe-chauche?fbclid=IwAR0uJX23aRqKsWOQaiCiWeFY9prFew7tB-A4uk8fp0vr01WPKVv3f_SpVnY
Commenter  J’apprécie          20
"Nous étions dans l'attente, chacun attendait quelque chose de différent mais l'état d'hébétude inquiète dans laquelle nous étions, était similaire, excepté bien sûr pour le Syrien, sa souffrance était totalement hors de notre portée. Je me rendais souvent avec lui sur la terrasse qui surplombait les toits de la ville pour en griller une. Nous n'échangions jamais nos noms, et nos dialogues, dans un anglais approximatif, se limitaient toujours à des bribes d'actualités croisées. Il avait bien essayé de me parler de sa femme mais ne trouvant plus les mots, il avait fini par renoncer à tout désir de s'épancher. Sa détresse était palpable dans ses yeux agités qui fixaient toujours le lointain avec la même crainte mêlée d'un fol espoir qui semblait lui faire le plus de mal."
Commenter  J’apprécie          20
"Dans la voiture d'Issam, je fixe un peu bêtement les gouttes qui rebondissent sur le pare-brise. J'adorais ça quand j'étais gamin, observer la puissance de la pluie, les dessins aléatoires qu'elle faisait sur les vitres. Mon père roulait rarement de nuit lorsque l'on partait en vacances à la montagne, mais quand il était retardé par son travail, il nous arrivait de partir clandestinement. J'avais cette impression délicieuse de m'embarquer en fraude, à la barbe de mes voisins qui dormaient déjà. On prenait la tangente et lorsque je m'allongeais pour regarder les lampadaires filer à la vitesse de la lumière, je me sentais en parfaite sécurité, la nuque de mon père était un pilier inaltérable, ma vie ne tenait qu'à l'agilité de ses deux bras mais à aucun moment je n'ai douté de lui."
Commenter  J’apprécie          10
"Dehors, la fumée des pneus brûlés est partout, je ne distingue rien, quelques silhouettes fantomatiques qui passent en trombe sans toucher le sol puis disparaissent aussitôt. Les lumières des lampadaires vacillent puis s’éteignent complètement. Là, ça devient vraiment flippant. Je relève les yeux, impossible de distinguer Ana à son balcon, je ne sais même pas si elle me voit de son côté, mais au fond quelle importance, je suis livré à moi-même, personne ne pourra plus me venir en aide. Je me rends compte que sans spectatrice, mon courage commence à décliner, je n’en mène plus large. J’accélère le pas dès que l’écho d’un tir ou d’une détonation me semble plus proche que le précédent. Je m’imagine défiguré, amputé, charcuté pendant plusieurs mois par des infirmières vachardes redoublant de cruauté pour donner une bonne leçon à l’étranger stupide qui a choisi d’être là, au mauvais moment, au mauvais endroit, et qui, à la différence des gens d’ici, avait le choix lui d’être ailleurs."
Commenter  J’apprécie          10
Ce silence est terrible car il m’est imposé, et dans le fond, il n’en est pas vraiment un, tant les cris résonnent à présent dans ma tête. Je pense à Ana, à mes parents, aux cafards, à Ozo, à Brando, à ma vie en France qui ressemble à un joyeux bordel, aux réseaux sociaux et au fait que tout y est imposture même le fait de communiquer. J’essaye de ne plus penser à rien pour dormir, de faire taire les voix, mais c’est vain, il y a toujours un flash-back à la con qui vient se projeter sur l’écran, des mots sans aucun sens qui se bousculent dans ma tête et me provoquent des impatiences au niveau des jambes. Je veux juste sortir de mon corps une heure ou deux, le temps de m’endormir et de le retrouver ensuite comme un vêtement, enfiler ma peau en vitesse au moment où le jour ressuscitera les êtres et les choses. Plus d’angoisse, plus de visions, plus de réflexions, plus rien ne pourrait m’atteindre, mais ce n’est pas possible, je suis définitivement bloqué avec moi-même.
Commenter  J’apprécie          10
Nos premières fois avaient quand même été magiques,
une fusion parfaite, un abandon total, on pouvait rester des
heures à poil et tout suants à écouter tomber la pluie. Je la
regardais ensuite marcher en dandinant son petit cul vers
l’évier, me répétant à chaque petite foulée, que je n’avais
jamais contemplé pareille beauté. Ana se lève pour aller nous
préparer un truc à manger. Je sors une cigarette en fixant la
lune pleine. C’est toujours la même face cadavérique qui me
nargue avec ses yeux un peu hagards mais je m’en moque.
Loin de toutes mes emmerdes, sur un balcon au clair de
lune, la pine aux anges que l’on se soit bien occupé d’elle, je
peux le dire, je suis heureux, et c’est rare.
Commenter  J’apprécie          10
J’aime le contact avec les gens quand je suis à
l’étranger. Chez moi par contre, je le déteste. Mon
voisin ou ma voisine pourraient m’entendre, et pire, ils
pourraient me comprendre. De suite, je deviens muet
pour ne pas avoir à recadrer leurs gueules de travers.
Ana me rend fou car elle parle tellement fort en général
que je dois surveiller la teneur des regards qui se
démultiplient tout autour de nous. Paris m’épuise pour
cela, tout le monde se juge en permanence et mêmes
ceux qui n’ont rien à dire se vengent sur ceux qui ont le
courage de l’ouvrir. Insupportable ! À l’étranger, je m’en
moque, je ne fais que passer, les gens entravent que dalle
à mon français à la mitraillette, les Libanais ont beau
comprendre ma langue, qu’ils s’accrochent s’ils veulent
me suivre.
Commenter  J’apprécie          10
"Cette envie de faire ce film là-bas, je la dois en réalité à l’écrivain Albert Camus. Ses bains de mer avec les femmes décrits dans Noces et L’Été m’avaient vraiment remué, je m’y voyais déjà de ma terrasse de Château Rouge où je travaillais à l’accueil d’une école de commerce, avec la pluie sur les bâches embrumées, ma clope tremblante au bout du bec, les pieds complètement gelés, avec juste un chauffage au-dessus de ma tête qui ne faisait rien de plus que de me brûler le crâne. Je viens de la grisaille, toujours cette même teinte uniforme qui plane tout autour, sans jamais laisser percer la moindre parcelle de lumière ou d’espoir. Il faut imaginer un peu ce que cela peut faire à un banlieusard comme moi de lire des descriptions solaires telles que « la campagne était noire de soleil », alors que moi je m’en souvenais à peine de ce fameux soleil. Et quant à la mer, cela ne m’inspirait rien d’autre que l’ombre des cons bodybuildés qui paradaient, des gonzesses cramées aux U.V. qui prenaient leur postérieur en selfies ou des gamins qui venaient enterrer ma serviette dans le sable pour en faire des châteaux éphémères. Rien à voir donc avec les illuminations d’Albert."
Commenter  J’apprécie          20
C’est donc ça Beyrouth, une année de préparation pour ne rien voir. La première chose que je fais en général, c’est de m’en griller une en regardant au loin, mais là, rien à faire, on n’y voit que dalle. J’ai la tête qui tourne, les jambes en compote, le manque de nicotine sûrement et la fatigue, je me souviens à peine avoir récupéré nos deux bagages. Ana parlemente avec un taxi qui s’est garé un peu plus loin puis elle me fait signe de rappliquer dare-dare avant qu’il ne change d’avis sur les tarifs. Mes premières visions de la ville pourraient être le prolongement d’un rêve commencé dans l’avion, tout en clair-obscur, traversé par des luminaires orangés découpant des parcelles du visage poilu du conducteur qui me demande si je veux en fumer une à force de me voir loucher comme un toxico sur son paquet de clopes Camel. Je lui réponds que oui puis je me sers sans me faire prier. Les premières taffes allument une migraine qui n’en finit plus. J’ouvre la fenêtre en grand car Ana commence déjà à râler que l’odeur devient aussi agressive que dans la petite chambre de bonne de la rue Monge que l’on vient à peine de quitter. La chaleur qui rentre dans la voiture est suffocante, je ressens, en plus de la migraine, deux pressions sur mes tempes, comme si des
doigts hostiles étaient en train d’appuyer dessus pour me faire avouer quelque chose que j’ignore complètement. Je bâille instinctivement pour dépressuriser mes deux oreilles, la pression retombe aussitôt mais les sons de la cité me parviennent dans un écho brutal et percent mes deux tympans. Des klaxons, des ambulances, de la musique arabe se répondent d’échoppes en échoppes, un brouhaha indescriptible qui n’est pas dénué de charme, et me rappelle un peu le bordel enivrant des souks de Marrakech. Ma fumée se mêle à ses consœurs du voisinage, des narguilés parfumés, des cigares de mauvaise qualité. Je commence enfin à respirer normalement quand soudain une odeur de pneu me prend aux narines et ne me quitte plus à mesure que la ville de Beyrouth se dresse à l’horizon telle une montagne constellée d’étoiles."
Commenter  J’apprécie          30
"Je déteste prendre l’avion, non vraiment, j’ai toujours cette impression désagréable d’être pris en otage, de ne pouvoir me lever avant que le clignotant ne passe au vert et qu’une voix au micro ne me donne enfin l’autorisation de me soulager. Et puis se lever pour aller où ? Il n’y a ni passerelle à l’avant pour prendre l’air comme sur un bateau, ni de wagon-restaurant pour boire un verre en regardant défiler les paysages par la vitre du train, encore moins d’aire d’autoroute pour en fumer une petite en veillant à ne pas jeter sa clope près de la pompe à essence, simplement le vide sous nos pieds et une maigre carcasse métallique censée nous en protéger. En plus, sur leur foutu siège tout étriqué, je n’ai jamais assez de place pour mettre mes pieds, et si on joue de malchance, comme c’est souvent mon cas, on est toujours réveillé par un gros type qui veut aller lâcher quelques pets tranquilles car l’avion lui détraque salement l’estomac. Je ne parle même pas des hôtesses, elles te vendent de la soupe avec le même sourire Colgate, figé, rétractable dès que tu as le dos tourné."
Commenter  J’apprécie          20
"Nous embarquons sans dire un mot comme à l’arrivée,
coupables sans savoir exactement de quoi. Je regarde l’île
s’éloigner derrière nous, je l’ai sur le bout de la langue
mais rien ne sort, je n’arrive pas à ordonner le récit
dans ma tête pour pouvoir ensuite le transmettre à des
auditeurs imaginaires, décidément, je ne suis vraiment pas doué pour raconter une histoire. Encore une odyssée qui
restera hors-champ comme tout ce que nous avons vécu
depuis notre arrivée et que nous avons, volontairement
ou non, laissé mourir de côté. Ana me saisit la main et
m’embrasse sur la joue, je n’aurai donc pas tout perdu
en venant ici, comme ce couple à la fin du film Voyage
en Italie de Rosselini, contemplant les ruines de la Rome
antique et de leur histoire, nous savons tous les deux ce
qu’il en est mais nous faisons semblant de l’ignorer pour
notre bien ou parce que nous avons peur de finir seuls,
tout simplement."
Commenter  J’apprécie          10
« Lorsque nous nous installons sur la terrasse, nous avons une
vue plongeante sur la vie du quartier et sur les balcons de
l’immeuble d’en face criblé de balles. Un vrai bordel de fils
électriques qui pendent et se croisent dans tous les sens et
défigurent la rue en diagonale. J’allume ma première cigarette
de la journée. Les chants de la mosquée s’infiltrent dans les
ruelles comme s’ils étaient portés par le vent. Cela me fascine
car on dirait que la ville s’exprime et fait passer un message à
ces habitants, je n’arrive pas encore très bien à décrypter si c’est
un message d’encouragement ou alors un mauvais présage. »
Commenter  J’apprécie          10
"La lame s’enfonce d’un coup sec dans la gorge de l’animal dont les yeux atteignent des proportions démesurées comme s’ils étaient près à gicler de leurs orbites. La douleur est un cri continu, le souffle ne varie plus, la lame brise les cordes qui vibrent toutes, à présent, dans les aigus. L’animal se vide de son sang, il y en a partout, sur les chaussures des quatre hommes, sur leurs visages contractés, de vraies gueules de tueurs. Il ne meurt pas, j’en ai des hauts le coeur, me répétant en continu, putain, putain à chaque fois que la lame rentre et sort. Je l’ai répété quatre fois de suite. L’animal commence à se laisser aller, sa langue pendante, les muscles des quatre hommes peuvent se décontracter. Le couteau est encore dans l’animal quand son dernier son est sectionné par le tranchant de la lame. Il y a un bain de sang sur le sol que la terre refuse bien évidement de boire. La soeur de Gigi, une femme forte de corps comme de caractère et habituée depuis l’enfance à ce spectacle, arrive avec un seau rempli de terre et le jette sur la scène de crime pour faire disparaître toutes les preuves."
Commenter  J’apprécie          60
"Cinq jours de marche dans les montagnes Fagaras, le vent, le froid, la grêle, la pluie de côté et pour qu'elle finalité? Il n'y a que brume, pierres et une absence totale de visibilité. Attendre patiemment que le paysage se découvre, qu'il s'offre un peu plus, déçus parfois d'entrevoir un vide plus docile que notre imagination enflammée ne l'avait pressenti. User nos pieds sur des crêtes en dents de scie, glisser sur des territoires de boue et de verglas avec pour seul guide, un chien sauvage sorti de nulle part, fidèle, surnaturel."
Commenter  J’apprécie          40
"Un sac de trente kilos sur le dos qui, au demeurant, me portait plus que je ne pouvais le soutenir, Sarah qui m'emboîtait le pas en hurlant comme un général, oubliant que mon genou me faisait mal et qu'elle n'avait, en tout et pour tout, que 10 kilos lovés sur sa petite colonne vertébrale, une journée sui commençait très mal!"
Commenter  J’apprécie          50
"Le soleil se lève enfin, comme des épées qui frappent en plein coeur pour le réchauffer. Je me souviens qu'enfant, je ne pouvais suivre les cours, trop occupé à loucher du coin de l'oeil, pour apercevoir cette boule de lumière colorier l'espace, et parfois s'inviter dans un coin de ma classe, pour m'apporter un peu d'espoir, avant que la maîtresse ne le fasse définitivement disparaître derrière le rideau. Je suis toujours cet enfant, il m'arrive de grandir brusquement, et de devenir un peu le père de l'enfant que j'étais."
Commenter  J’apprécie          90
"Je marche seul dans un village aux abords de Pitesti : une solitude nécessaire pour ne rien reprocher aux autres. Le ciel se dandine au-dessus de ma tête ; la lune y dessine des escaliers qui conduisent sûrement quelque part. J'aimerais pouvoir les emprunter et tirer ma révérence mais je dois me contenter de la boue d'une rue en travaux et des insultes des chiens errants qui me reprochent de leur gâter leur solitude. Ces fils de chien ne laissent même pas ma détresse se couler en silence ; ils condamnent mon errance, pensant avoir le monopole du rejet, du vide, de l'inutile."
Commenter  J’apprécie          120
"ll s'en voulait d'avoir déçu sa pauvre mère, d'avoir vécu égoïstement, mais il y a une chose dont il peut être fier, c'est de n'avoir jamais porté un regard injuste sur les gens opprimés. Loin de seulement lui inspirer de la pitié, ils lui ont toujours fait prendre conscience que l'homme n'est jamais seul même dans le désespoir le plus total. Il y a toujours une âme en peine à l'autre bout du monde ou au coin de la rue, qui, en vivant la même chose que nous, allège sans le savoir le désespoir de l'humanité toute entière.
Commenter  J’apprécie          90
"On voyage souvent avec le désir un peu sournois de s'échapper, on laisse les amis, la famille derrière nous, mais en réalité on espère surtout laisser celui que l'on était loin derrière." Grégory Rateau
Commenter  J’apprécie          50
"Je passe justement devant une petite église orthodoxe
littéralement prisonnière entre deux immeubles commerciaux.
Les murs de verre du bâtiment semblent se rapprocher
dangereusement, comme pour l’écraser ou se mettre devant, au
premier plan. Lorsque l’on interroge les gens sur des mesures
éventuelles à prendre pour alerter l’opinion et sécuriser leurs
habitats si une catastrophe venait à se produire, une très
grande majorité pour ne pas dire la totalité, s’en remet à Dieu.
Quant aux industriels, ils attendent patiemment et ouvertement
que les bâtiments s’effondrent pour reconstruire à neuf et à
moindre coût. Le destin a bon dos, il profite aux uns, quant
aux autres… Ce passage, cette mutation quasi inévitable vers la
mondialisation me fait penser que je suis peut-être venu ici
pour contempler les derniers vestiges d’un monde sur le point
de disparaître et moi avec. Je me répète alors cette phrase
inscrite à la craie par de jeunes bucarestois sur une façade en
voie d’extinction : « Crois et ne tremble pas ! »
Commenter  J’apprécie          160



Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Listes avec des livres de cet auteur
Lecteurs de Grégory Rateau (35)Voir plus

Quiz Voir plus

Romans célèbres, complétez les titres ( XIXème )

1831. Honoré de Balzac: " La peau de ..... "

lapin
vache
chagrin
mouton

12 questions
219 lecteurs ont répondu
Créer un quiz sur cet auteur

{* *}