Lionel, fils naturel de Nicolas III, occupa le trône de Ferrare depuis le 28 décembre 1441 jusqu'au 1" octobre 1450. Le règne de ce prince, malgré sa brièveté, fut très fécond pour le développement de la peinture. Un concours heureux de circonstances seconda les encouragements prodigués par la cour aux artistes. Il y avait déjà dans les ateliers une activité de bon augure, quand plusieurs peintres renommés importèrent à Ferrare les tendances propres aux écoles de Vérone, de Venise, de Padoue, de Sienne et même de la Flandre.
Au bout d'un certain temps, les deux amis, qui, au dire de Vasari, « ne faisaient qu'un corps et qu'une âme », jugèrent qu'ils n'avaient plus rien à apprendre auprès de Cosimo Rosselli et louèrent une chambre, pour y travailler de compte à demi. Cette installation ne dut pas avoir lieu avant 1490 et peut-être même avant 1492. Le père de Bartolommeo était mort en 1487, laissant la jouissance de sa maison à sa femme, qui ne lui survécut que cinq ans et s'éteignit dans l'hôpital de Santa Maria Nuova.
A cette époque, Bartolommeo ne s'était pas encore interdit les sujets profanes et mythologiques, ou du moins il avait conservé dans ses cartons des études qu'il regarda comme trop libres, car, si l'on en croit Vasari, il les sacrifia dans les Bruciamenti délie vanità ou autodafés par lesquels le peuple florentin, à l'instigation de Savonarole, célébra la fin du carnaval en 1497 et en 1498. Aux excès de la licence qui avaient jusque-là signalé les fêtes carnavalesques, succédèrent des excès inspirés par un rigorisme de réaction, et dont on a du reste exagéré beaucoup la portée Un dessin au crayon noir, conservé dans la galerie des Offices, échappa probablement aux investigations de Bartolommeo : ce dessin représente une femme demi-nue, agenouillée, et un satyre embrassant une nymphe.
Et quelle longue description vaudrait ce seul vers sur le crépuscule :
L'ombre et le jour luttaient dans les champs azurés.
Après ces simples mots, n'est-on pas tenté de fermer le livre et de regarder dans ses propres souvenirs? On se rappelle la sérénité de ces moments trop courts où les dernières lueurs du soleil, à la fin d'un beau jour, colorent de teintes rosées le bleu tendre du ciel, tandis que les détails du paysage deviennent de moins en moins distincts, que les oiseaux s'appellent, se réunissent et babillent avant de regagner leurs abris, et que la première étoile commence à scintiller, annonçant à tout ce qui vit la venue de l'heure du recueillement et du repos.
La Fontaine n'a pas moins finement senti la poésie de la nature que saint François de Sales, mais il l'a rendue tout autrement. Cette différence tient à plusieurs causes. Au lieu de contempler en chrétien le monde physique, il le regardait en curieux, en rêveur, en épicurien. Si les « trésors des jardins et des vertes campagnes » charmaient autant ses yeux et son esprit, ils ne s'imposaient pas à son coeur avec la même puissance : presque jamais on ne surprend chez lui la moindre effusion lyrique; constater avec précision lui suffit.
Quelques années plus tard, un architecte de grand mérite, qui était aussi ingénieur, se fixa à Ferrare et entra au service du marquis. Il s'appelait Bartolino da Novara. C'est lui qui est l'auteur du plus beau monument de Ferrare, du Castello, sorte de château fort, que Nicolas II lui fit construire, après le meurtre de son conseiller Thomas de Tortone, pour se mettre à l'abri des soulèvements et des exigences populaires.
C'est à la famille d'Esté, « la plus ancienne et la plus fameuse de l'Italie après celle des ducs de Savoie », que la ville de Ferrare a dû sa prospérité et son éclat; c'est grâce à elle que les arts s'y sont développés avec un caractère particulier d'âpre énergie, qui s'atténua peu à peu sous les impulsions du dehors.
Après avoir travaillé à Padoue et à Vérone, Giotto (né en 1266, mort en 1336) s'arrêta à Ferrare en regagnant la Toscane et fit dans le palais nouvellement construit des seigneurs d'Esté, ainsi qu'à Sant' Agostino, quelques peintures, visibles encore au temps de Vasari, mais dont il ne reste plus rien aujourd' hui.