cf. Courrier International, 2005
"Né en 1946, spécialiste des littératures serbo-croate et polonaise, György Spiró fait ses débuts de romancier en 1974, avec Kerengö [“Labyrinthe”, éd. Szépirodalmi, Budapest, 1975], une parabole de la société totalitaire. Mais sa vraie entrée en littérature se fait avec Ikszek [Les Anonymes, éd. Bernard Coutaz, 1988], un roman monumental publié en 1981, qui – pour parler de la Hongrie communiste – nous plonge dans la Pologne occupée du début du XIXe siècle, à travers le personnage du comédien Wojciech Boguslawski, en butte aux forces de l’Histoire. Le choix du théâtre comme milieu n’est pas un hasard : Spiró est aussi dramaturge, auteur de plusieurs pièces, dont Csirkefej (Tête de poulet, éd. Théâtrales, 1992), un des plus grands succès des années 1980. Ses dernières œuvres, Fogság [“Captivité”, éd. Magvetö, Budapest, 2005], précédé de Jégmadár [“Martin-pêcheur”, éd. Ab Ovo, Budapest, 2001], un tableau satirique du monde contemporain, marquent son retour au roman."
Les gardiens étaient d'anciens gardes blancs, c'étaient donc aussi des prisonniers. Ils détenaient le pouvoir à l'intérieur du camp, puisque la discipline et le maniement des armes étaient leur métier. Les tchékistes [Commissaires du peuple ] étaient obligés de s'allier avec ces gros bonnets, parce qu'ils n'étaient pas assez nombreux. (p. 137)
Il avait compris qu'empêcher des millions de gens de mourir de faim n'intéressait pas les bolcheviks, que seul leur importait le maintien de leur pouvoir absolu. (p. 49)
C'est étrange qu'un parent à forte volonté ait un effet paralysant même à distance. (p. 96)
(...) de sorte que Maxime [fils de Gorki ] devait traduire les lettres de son père en allemand ou en français. Il n'est pas bon qu'un fils traduise les pensées de son père au lieu de forger ses propres opinions. (p. 84)
Peu importait à Alexis [Gorki ] dans quel pays, dans quelle ville il avait son bureau (...) on peut écrire en russe n'importe où. Gogol, Tourgueniev, Dostoïevski ont écrit leurs oeuvres les plus russes à Paris et à Rome. (p. 91)
Habituée à être une domestique, à servir les autres toute la journée, j'ai eu du mal à devenir mon propre maître. (p. 26)
Quant aux écrivains, à part Akmatova, Pasternak, Mandelstam et Pilniak, ils venaient presque tous, notamment Boulgakov et Platonov qu'Alexis [Gorki] considérait comme les meilleurs, dont il essayait de placer les oeuvres en Occident, et qu'il défendait constamment aux yeux de Staline. Au bout de quatre ans (Isaac) Babel a obtenu grâce à lui un passeport pour Paris, où il a dit aux émigrés que Gorki était l'homme le plus important d'Union soviétique après Staline. (p. 154)
Je n'avais pas encore rencontré Alexis [Gorki ] que j'avais déjà entendu parler de son talent hors du commun. Enfin un homme du peuple ! Un auteur plus prometteur que Dostoïevski, Tolstoï, Tcheckhov et Merejkovski réunis ! En sa personne, le peuple frappait à la porte de la littérature russe. (p. 10)
(...) et les émigrés russes de Prague lui [ Gorki ] rendaient la vie impossible de la même manière que ceux de Berlin, alors il s'est tourné à nouveau vers l'Italie. Mussolini a demandé à l'ambassadeur soviétique sur quoi travaillait Gorki à ce moment-là. L'ambassadeur a répondu qu'il écrivait ses mémoires. Un homme qui écrit ses mémoires n'est plus dangereux, a dit Mussolini, et il a donné son autorisation. (p. 62)