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Citation de Partemps


IV.

À M. FERDINAND HILLER.

Paris, 1829.

Mon cher Ferdinand,

Il faut que je vous écrive encore ce soir ; cette lettre ne sera peut-être pas plus heureuse que les autres… mais n’importe. Pourriez-vous me dire ce que c’est que cette puissance d’émotion, cette faculté de souffrir qui me tue ? Demandez à votre ange… à ce séraphin qui vous a ouvert la porte des cieux !… Ne gémissons pas !… mon feu s’éteint, attendez un instant… O mon ami, savez-vous ?… J’ai brûlé, pour l’allumer, le manuscrit de mon élégie en prose !… des larmes toujours, des larmes sympathiques ; je vois Ophelia en verser, j’entends sa voix tragique, les rayons de ses yeux sublimes me consument. O mon ami, je suis bien malheureux ; c’est inexprimable !

J’ai demeuré bien du temps à sécher l’eau qui tombe de mes yeux… — En attendant, je crois voir Beethoven qui me regarde sévèrement, Spontini guéri de mes maux, qui me considère d’un air de pitié plein d’indulgence, et Weber qui semble me parler à l’oreille comme un esprit familier habitant une région bienheureuse où il m’attend pour me consoler.

Tout ceci est fou… complétement fou, pour un joueur de dominos du café de la Régence ou un membre de l’Institut… Non, je veux vivre… encore… ; la musique est un art céleste, rien n’est au-dessus, que le véritable amour ; l’un me rendra peut-être aussi malheureux que l’autre, mais au moins, j’aurai vécu… de souffrances, il est vrai, de rage, de cris et de pleurs, mais j’aurai… rien… Mon cher Ferdinand !… j’ai trouvé en vous tous les symptômes de la véritable amitié, celle que j’ai pour vous est aussi très vraie ; mais je crains bien qu’elle ne vous donne jamais ce bonheur calme qu’on trouve loin des volcans… hors de moi, tout à fait incapable de dire quelque chose de… raisonnable… il y a aujourd’hui un an que je la vis pour la dernière fois… Oh ! malheureuse ! que je t’aimais ! J’écris en frémissant que je t’aime !…

S’il y a un nouveau monde, nous retrouverons-nous ? .. Verrai-je jamais Shakespeare ?

Pourra-t-elle me connaître ?…

Comprendra-t-elle la poésie de mon amour ?… Oh ! Juliette, Ophelia, Belvidera, Jeanne Shore, noms que l’enfer répète sans cesse…

Au fait !

Je suis un homme très malheureux, un être presque isolé dans le monde, un animal accablé d’une imagination qu’il ne peut porter, dévoré d’un amour sans bornes qui n’est payé que par l’indifférence et le mépris ; oui ! mais j’ai connu certains génies musicaux, j’ai ri à la lueur de leurs éclairs et je grince des dents seulement de souvenir !

Oh ! sublimes ! sublimes ! exterminez-moi ! appelez-moi sur vos nuages dorés, que je sois délivré !…

La Raison.

« Sois tranquille, imbécile, dans peu d’années, il ne sera pas plus question de tes souffrances que de ce que tu appelles le génie de Beethoven, la sensibilité passionnée de Spontini, l’imagination rêveuse de Weber, la puissance colossale de Shakspeare !…

Va, va, Henriette Smithson et Hector Berlioz

seront réunis dans l’oubli de la tombe, ce qui n’empêchera pas d’autres malheureux de souffrir et de mourir !… »
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