Helen Epstein, née à Prague en 1947 est juive et donc directement concernée par cet héritage de souffrance des hommes et des femmes rescapés de la Shoah. En qualité de journaliste, elle a rassemblé en miroir à son propre vécu les témoignages divers de ces enfants de parents juifs qui tous lui ont dit avoir absorbé l’attitude de leurs parents à l’égard de l’Allemagne et de la Shoah à travers une sorte d’osmose silencieuse. Ils n’avaient pas reçu d’instructions explicites sur ce qu’ils devaient ressentir mais avaient plutôt saisi au vol des remarques, des attitudes, des désirs, qui n’avaient jamais été verbalisés. De plus, ils s’étaient si intimement identifiés à leurs parents, que les attitudes parentales qui s’étaient forgées pendant la guerre étaient devenues les leurs. Ces enfants ont souvent vécu dans le silence de leurs parents sur le traumatisme, se sentant dans l’obligation de réussir leur vie et d’être heureux en l’honneur des tous ceux qui sont morts. Surtout ils ne doivent pas décevoir ou contrarier leurs parents qui ont déjà tellement souffert. Helen Epstein a recueilli ces témoignages durant plusieurs années. Cette enquête est devenue une référence, démontrant la transmission d’une histoire qu’on n’a pas vécue au sein de cette catastrophe humaine à grande échelle.
Il semble que tout cela nous est connu, et pourtant ces témoignages nous parlent de vécus personnels qui nous touchent de manière nouvelle parce que l’actualité, si nous voulons bien l’entendre et la lire avec sérieux et honnêteté, nous appelle toujours et encore à la vigilance, pour que l’horreur de cette Histoire ne se reproduise pas dans quelque lieu du monde.
Ce livre a paru déjà en 1977 aux USA où vit l’auteur. Il est traduit aujourd’hui en français et porte à notre connaissance les analyses de Helen Epstein sur cet escarre énorme : parce qu’ autour de la blessure les tissus sont vivants mais à quel prix ? Selon la conférence d’un psychiatre israélien, en 1977 à l’école de médecine de l’Université de Stanford, le traumatisme des camps de concentration nazis se rejoue dans la vie des enfants et même des petits-enfants des survivants des camps. L ‘effet de la déshumanisation systématique se transmet d’une génération à la suivante à travers des troubles graves de la relation parents-enfants. La guérison est longue et demande bien des efforts de communication face à des sentiments mélangés toujours présents en société, de réticence, de colère, de peine, de gêne, d’espoir et de force. Or nous savons que la guérison des uns sert à la guérison de tous.
Le courage d’écouter l’indicible protège contre la prétention et l’orgueil de ceux qui font l’histoire et qui oublient que dans ce monde nous sommes faits pour nous entendre et vivre en bonne intelligence au lieu de nous massacrer les uns les autres. J’encourage la lecture de ce livre plein de sensibilité et de pudeur, au vocabulaire sans excès et loin d’être larmoyant. Il nous donne de l’empathie pour toute souffrance et je l’espère plus d’humanité.
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