Car il n'est pas douteux que notre occupation, que nous le voulions ou non, par le fait même des communications qu'elle rendra plus faciles, et des relations plus étroites qu'elle permettra entre tous les habitants du monde marocain, favorisera la diffusion d'un islam plus rigoureux ; et les vraies doctrines de l'orthodoxie, ayant toutes facilité de se répandre, vont pouvoir lutter contre les cultes locaux avec une puissance qu'elles n'auront jamais connue jusqu'ici, même aux époques du plus ardent prosélytisme.
Ce travail de transformation des anciens cultes locaux ne s'est pas exercé partout avec la même intensité, mais partout dans le même sens ; et dans le même sens aussi a travaillé l'influence des diverses religions qui se sont succédées sur la terre d'Afrique. Toutes ont contribué à fixer les génies dans des lieux de culture uniques, à les grouper autour d'une personnalité, issue ou non de leur sein, mais de plus en plus envahissante ; et, à travers l'islam, qui, si 'on excepte les modifications produites par la contamination des génies berbères avec les génies orientaux qu'il apporta avec lui, ne fut sur ce point qu'un continuateur ; à travers les dépôts laissés par le judaïsme et le christianisme, l'action des conceptions religieuses puniques ou romaines se laisse encore nettement percevoir aujourd'hui.
La domination romaine, époque de progrès, qui précipita l'évolution du culte des génies indigènes, à supposer qu'elle put ne pas l'influencer plus directement, prépara ainsi les voies à l'islam, dont le grand travail consista moins à faire disparaître immédiatement ces cultes qu'à se les rattacher, en annexant les rois des génies ou en leur donnant des maîtres venus d'Orient.
D’où viennent dans ce pays la popularité de Décius et la légende des Sept Dormants ? De l’Orient assurément. Il n’est pas absolument nécessaire de supposer que ce soit l’islam qui les ait introduits. Cette légende méditerranéenne était célèbre bien avant la conquête arabe, et a pu parvenir au Maroc à l’époque du christianisme.
L'islam qui, aux premiers siècles de son existence en Afrique, s'avança surtout par infiltration, dans les régions situées en dehors des grandes routes, sut s'accommoder des divinités locales quand elles étaient encore des génies, car il reconnaissait l'existence de ceux-ci.