Henri Brugmans

De l'effondrement de la IVème République en mai 1958 au référendum du 27 avril 1969, la scène politique fut dominée par la grande figure du général de Gaulle.

"La France, qui avait raison à 80% le 30 juin à minuit, s'est retrouvée avoir tort le 1er juillet à midi dans la même proportion. La faute a consisté à laisser sa chaise vide."

Le Figaro - 17.01.1966

[de Gaulle] parlait en maître plutôt qu'en pair, en chef national qui commande plutôt qu'en conciliateur européen qui veut comprendre et unir. Cela aussi empêcha un accord durable.

[Après le volapuk intégré] une certaine gêne commençait à régner en Europe, non seulement dans les milieux fédéralistes.

Pouvait-on en effet imposer le vote européen obligatoire aux électeurs français, habitués comme ils le sont à voter... ou à aller à la pêche ? C'était leur présenter l'Europe sous des formes bien tracassières. Par contre, pouvait-on expliquer aux néerlandais que leurs élections communales, provinciales et législatives étaient obligatoires, mais que pour l'Europe, chacun faisait comme il lui plaisait ? Ce serait présenter le Parlement des Six comme une bagatelle.

"Yet by a vast irony the man who perhaps saw the most clearly the potential of a united and independent Europe, has refused to adopt the methods that could have made that unity and independence a reality. Had he known how to cooperate as well as to lead, de Gaulle could have been president of a powerful and united Europe."

John Lambert - Britain in a Federal Europe - 1968

"Considérons la journée d’un bourgeois de Paris aujourd’hui. Le matin, dès son réveil, M. Durand se lave à l’aide d’un savon (fabriqué avec l’arachide du Congo) et s’essuie avec une serviette de coton (de la Louisiane). Puis il s’habille : sa chemise, son faux-col sont en lin de Russie, son pantalon et son veston, en laine venue du Cap ou de l’Australie ; il orne son cou d’une cravate de soi faite ave des cocons du Japon ; il met ses souliers dont le cuir fut tiré de la peau d’un boeuf argentin, tanné avec des produits chimiques allemands […] Enfin, après avoir soupé dans un cabaret « caucasien » aux sons d’un jazz-band nègre [les époux Durand] rentrent chez eux. Et, fatigué d’une journée si bien remplie, M. Durand s’endort sous son couvre-pied (en plume de canards norvégiens), en rêvant que décidément la France est un grand pays, qui se suffit à lui-même, et peut faire la nique au reste de l’univers. "

DELAISI Francis, Les contradictions du monde moderne, 1932

"Je pense qu'entre des peuples qui sont géographiquement groupés comme le peuple d'Europe, il doit exister une sorte de lien fédéral ; ces peuples doivent avoir à tout instant la possibilité d'entrer en contact, de discuter leurs intérêts, de prendre des résolutions communes, d'établir entre eux un lien de solidarité, qui leur permette de faire face, au moment voulu, comme des circonstances graves, si elles venaient à naître."

Aristide Briand - discours à la SDN - 1929

On avait cru à une manifestation oratoire ; on avait applaudi et on avait chargé l'auteur de la proposition de la mettre au point, persuadé qu'il n'y réussirait pas. Or, le memorandum du 17 mai reprenait en les développant les idées exposées six mois plus tôt et demandait une réponse ; il embarrassait fort les 27 chancelleries européennes à qui il était adressé.

" Du haut de ce fauteuil que j'occupais jusqu'à hier, j'ai fait fait une constatation qui souvent m'a empli d'une profonde tristesse. J'ai été souvent étonné de la somme de talent que l'on dépensait dans cette assemblée pour expliquer qu'il'ne fallait pas faire quelque chose. Aujourd'hui, chacun a de bonnes raisons de rester sur place. Certains Allemands ne feront l'Europe que lorsqu'ils auront réalisé l'unité de l'Allemagne. Certains Belges ne feront l'Europe que quand l'Angleterre y aura donné son adhésion. Certains Français ne feront pas l'Europe si on les place en présence des Allemands dans un dialogue. Les Anglais ne feront pas l'Europe aussi longtemps qu'ils n'auront pas trouvé une solution acceptable pour le Commonwealth. Nos amis Scandinaves assistent à tout cela avec un air désabusé. J'ai la conviction que si, dans cette assemblée, on dépensait le quart de l'énergie que l'on déploie à dire non, pour dire oui à quelque chose de positif, nous ne serions plus dans l'état où nous sommes aujourdhui."

Des Anglais : "Jamais vous n'avez été - et je tiens à vous en rendre hommage - plus catégoriques et plus nets en nous disant, comprenant tout de même ce que c'était pour nous de faire l'Europe : "Jamais avec vous, dans cette voie et sur cette ligne"."

Paul-Henri Spaak - discours de démission de la présidence du Conseil de l'Europe - 11.12.1951

C'est là que tout fut joué et Rochefort évoque ainsi la scène suivante :
"Le lundi est un premier mai. Clappier que son esprit froid de polytechnicien et d'inspecteur des Finances n'empêche pas, ce jour-là, de brûler d'impatience, arpente le quai de la gare de l'Est, anxieux de connaître la décision de son ministre. Mais celui-ci sait attendre et son vieux goût pour la facétie s'en fait peut-être ici un malin plaisir : lorsque Clappier l'aperçoit parmi le flot de voyageurs, son visage ne révèle absolument rien. Pendant le trajet en voiture, le président parle de la pluie et du beau temps au point que son directeur de cabinet commence à se dire que c'est mauvais signe. Arrivé au Quai, il n'y tient plus :
- Monsieur le Président, le document que je vous ai remis samedi, vous avez eu le temps d'y réfléchir... Qu'en pensez-vous ?
- Et bien, c'est oui "...