Comme il y a deux ordres d'architecture, il y a aussi, peut-on dire, deux «ordres» de sculpture. A l'architecture dorique correspond une sculpture sévère, sobre, puissamment construite, aux dessous solides, aux lignes raidement arrêtées, moins soucieuse du charme que de la force et de la netteté ; ce fut celle qui domina dans la partie occidentale du monde grec, dans la Grèce dite dorienne, et spécialement dans le Péloponnèse, terre d'élection du mode dorique en architecture. Le mode ionique, au contraire, est né, s'est développé et régna toujours dans la Grèce d'Asie ; et à cette architecture plus élégante et plus parée correspond une sculpture animée, facile, aux formes coulantes, variée d'imagination, préoccupée de plaire dès le premier aspect : elle prit l'essor, un rapide et joyeux essor, dans les brillantes cités ioniennes du littoral asiatique et des îles voisines, et s'étendit sur presque toute la partie orientale du monde grec.
Entre toutes les dames archaïques assemblées dans la salle centrale du Musée de l’Acropole, il en est une qui attire en général la préférence des visiteurs; on me pardonnera de dire qu'elle est restée particulièrement chère au souvenir de celui qui, le premier, l'a fait connaître hors d'Athènes. Elle ne se distingue du gros de ses compagnes par nul détail singulier, ni dans l'attitude ou le geste, ni dans le costume ou la coiffure. Mais son visage a une expression ravissante. Modelé avec une suprême délicatesse, caressé par un ciseau qui lui a communiqué le moelleux de la chair, il apparaît tout pénétré d'une fine et douce vie morale. La bouche sourit d'un sourire léger, que l’on sent plutôt qu'on ne le voit, qui ne fait qu'éclairer la physionomie sans l'épanouir: et ce sourire tout intérieur est en complète harmonie avec le calme modeste des yeux baissés, à demi voilés par les paupières. Les joues, délicieuses de jeunesse, fraîches et candides, semblent participer aussi à cette douceur recueillie de la bouche et du regard. Tout cela fait un charme exquis et pénétrant, d'une qualité très rare dans la sculpture archaïque.
Comment le sculpteur a-t-il su, par les seuls moyens de la plastique, nous dire ce qu'il voulait, en termes si frappants? Il a procédé par amplification systématique de certains détails de la forme, ces détails étant savamment choisis et leur amplification savamment calculée. - Parlons franc, diront les mécontents:il a outré, exagéré, déformé. — Déformé, oui, mais non pas au hasard. De pareilles déformations se sont déjà rencontrées dans l'art, et justement dans ses régions supérieures.
Ce que nous savons aujourd'hui de la sculpture athénienne jusqu'à l'invasion perse nous montre comment, au cours de sa croissance, elle a préparé, avec une admirable sûreté, son futur triomphe. Autochtone, livrée à ses seules forces, luttant péniblement contre son ignorance première, n'abordant le marbre qu'après un long apprentissage sur le bois et le calcaire tendre, elle a pourtant su dégager de bonne heure les éléments d'un style qui lui est propre, et où se trouve déjà quelque chose de la mesure, de la simplicité, de la distinction sans apprêt, de la précision sans dureté, qui caractériseront plus tard l'atticisme.