La vie n’apporte jamais de réponse. Il arrive qu’elle pose les bonnes questions. Il arrive plus souvent encore que sa réponse soit à son tour un questionnement : sans crier gare, il nous bouleverse, vient ébranler l’édifice fragile de nos certitudes, détraque quelque chose dans l’horloge intime de nos jours et l’ordonnancement balisé de nos pensées, semble vouloir dérégler le décompte du temps qui nous est encore imparti.
...chaque langue est une recréation du monde : le ciel, l’eau, la terre, le jour et la nuit, jusqu’à l’homme, Dieu les avait créés rien qu’en les disant. À défaut de son cœur, Marina m’ouvrait les portes d’un univers… mais pour m’avertir aussitôt que je risquais de rester sur le seuil.
On y chante l’amour qu’on ne peut déclarer, les choses qu’on ne peut dire, car tout passe mieux en chanson et les chansons n’appellent pas de réponse ; on y conte l’imaginaire, tellement plus beau que le réel puisqu’il délivre du temps qui passe et rend invincible…
Quand les frontières seraient abolies, bientôt peut-être, nous nous reverrions pour en parler, pour élargir le champ des possibles. Pour m’en convaincre, j’avais besoin de sentir, flanc contre flanc, la chaleur de son corps, la persistance dans le sien de notre étreinte sur le pont de bois ; de me rappeler nos rues et toutes les choses par elle renommées, ce désir qui se faisait métempsycose.
Être le premier à labourer le champ d’une langue qui vient de naître, à jouer avec sa syntaxe, à triturer ses mots, à jouir de ses images, c’est comme plonger dans la mer, c’est pour lui comme faire l’amour avec la vierge dont il rêve et qu’on lui refuse.
Les Rom ne vivent qu’au présent, sans lumière sur leur passé et sans rêve d’avenir. C’est leur conception du bonheur, la philosophie cachée de ces cabanes faites de bric et de broc : s’enraciner dans l’éphémère et ne rien attendre de la vie.
Il est aisé de se prononcer sur le destin d’autrui, d’y anticiper un tournant décisif, plus ardu de savoir où l’on veut aller soi-même. Ce qu’on appelle « tourner la page » chez les autres revient souvent, transposé chez soi, à la déchirer.
Sous le masque de la politesse se lisaient l’indifférence, la méfiance, la peur aussi, mais sans la noblesse humaine du mot. Une forme intestinale de trouille, commune à ceux dont la seule hantise est de déplaire à plus puissant qu’eux.
Les Rom sont plus religieux que croyants, plus attachés aux rites qu’aux dogmes. Ils font baptiser les enfants ; c’est comme une assurance de plus contre le mauvais sort. On les arrache ainsi au pouvoir des sorcières.
L’espoir faisait couler la bière dans les tavernes et l’encre des stylos sur maint projet de proclamation solennelle pour l’avènement d’un monde nouveau où l’on n’emprisonnât plus les gens sans raison, corps et âme.