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Citation de EtienneBernardLivres


Honoré de Balzac
On a pu s’apercevoir que depuis quelque temps M. De Balzac a reconquis le titre du plus fécond de nos romanciers.


Trois journaux sont occupés en ce moment à publier ses œuvres, et malgré tous leurs efforts et leur zèle, malgré qu’ils aient convoqué le ban et l’arrière-ban des compositeurs, c’est à peine s’ils peuvent suivre le trot précipité de M. De Balzac sur le turf du feuilleton.

De tous côtés les presses gémissent nuit et jour ; les voisins troublés dans leur sommeil par ce bruit incessant gémissent plus fort encore que les presses et parlent de déménager. Mais le fécond romancier se rit de leurs plaintes et stimule d’autant plus l’ardeur des compositeurs qui suent et rendent l’âme :

--- On dit qu'on a vu même, en ce désordre affreux,
--- Balzac qui d'aiguillons pressait leurs flancs poudreux.

Il est positif que tout le bruit littéraire du moment se fait par lui et pour lui. M. A. Dumas se tait, et M. Eugène Sue en est réduit à écrire des lettres aux Débats pour expliquer son silence, moyen ingénieux de dire quelque chose.

On se perd en conjectures sur les moyens que M. de Balzac a mis en œuvre pour passer derechef à l’état de plus fécond de nos romanciers.

Les uns disent que pendant les deux ou trois ans qui viennent de s’écouler, l'auteur de Vautrin s’était retiré dans une grotte de Montmartre, sans autre compagnie que celle d’un corbeau qui lui apportait de l'encre, du papier, des plumes et des petits pains.
Là M. de Balzac travaillait nuit et jour, dépouillé de toute espèce de vêtement, pour ne point perdre de temps à se déshabiller le soir et à s’habiller le matin.
Peu d’hommes sont capables d’un effort aussi héroïque.

Sa barbe et ses cheveux avaient poussé outre mesure dans ses courts instants de promenade, il oubliait ordinairement de passer un paletot ou même un simple rideau de croisée, de sorte que les gens qui l'apercevaient de loin, s’enfuyaient le prenant pour un loup-garou.
Les meuniers de Montmartre l’accusaient de jeter des sorts sur les ailes de leurs moulins.

On comprend que nous n’ajoutions pas une foi entière à cette version.

D’autres prétendent que M. de Balzac, après de longues recherches, a trouvé enfin la pierre philosophalo-littéraire, autrement dit la transmutation subite du papier blanc en papier écrit, et qu’il obtient ce résultat en faisant frire dans l’encre des cervelles de veau, qu’il va ensuite enfouir, entre minuit et une heure du matin, sous la troisième colonne à gauche du temple de Salomon.
Plusieurs personnes prétendent l’avoir surpris ce livrant à cet exercice, mais la chose nous paraît bien invraisemblable.

On parle encore d’une mystérieuse collaboration qui mettrait M. De Balzac en état de suffire à la population simultanée de trois romans.
Un compositeur de la Presse étant allé, l’autre jour, remettre des épreuves au romancier, prétend avoir aperçu, par une porte entrebâillée, une main blanche et délicate, entourée de fourrures, qui courait sur le vélin avec la rapidité de l’éclair.
Cette main pourrait être celle de M. De Balzac.

La prote du Constitutionnel ayant frappé dernièrement à la porte de l’écrivain, pour lui demander la copie des « Parents Pauvres », assure voir vu poindre un nez effilé et rouge, enveloppé de fourrures. Ce nez flamboyait sous le feu de l’inspiration.
Tout le monde sait que si le nez de M. De Balzac est rouge, du moins il n’est pas effilé.

De ces divers renseignements on aurait conclu que M. De Balzac collaborait mystérieusement avec une princesse russe.
Nous n’avons pas besoin de faire ressortir tout ce qu’il y a d’invraisemblable et d’incongru dans cette supposition que, pour notre part, nous n’admettons pas.
Il vaut mieux adopter une autre version qui s’appuie sur une déclaration faite par M. Prudjomme, maître d’écriture et expert assermenté près des tribunaux. M. Prudhomme aurait affirmé sous serment qu’il a enseigné cet hiver, en vingt-quatre leçons, à M. De Balzac, l’art d’écrire des deux mains et des pieds à la fois. Ceci expliquerait comment l’auteur de Vautrin a pu écrire trois romans à la fois. De cette façon, il n’aurait collaboré qu’avec lui-même.

(Charivari, 17 mai 1847, p.2)
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