Hubert Leconte

La famille Tamisier m’a dit formellement que Rosette perdait la mémoire et que se souvenirs s’effaçaient. Comment voulez-vous obtenir des aveux sincère d’une femme qui perd la tête ?
Je vais vous proposer une solution qui, sans renier les propos de l’archevêque, permettrait d’en finir humainement avec cette affaire.
Retenez ce qu’écrivait sa grandeur à notre frère Lucas, il y a plus de quarante ans :
Lorsque Rosette Tamisier aurait perdu l’usage de ses facultés intellectuelles vous pourriez lui donner sub tacita conditione en pensant qu’elle a eu, peut être un bon mouvement avant de perdre l’usage de la raison. Si les choses se passent de la sorte, il n’y aura pas de difficulté pour lui donner la sépulture chrétienne.

Dans ce Luberon imprégné de mystères, de secrets et de légendes, comblé par la providence, de saints, de chapelles, de miracles et d’anachorètes, chaque village bénéficiait d’un saint tutélaire, d’une grâce particulière, d’une relique ou d’un source miraculeuse.

Mon père était un grand capitaine et mon grand-père Jehan le Prêcheur a été crucifié sur les portes du château de Lourmarin, je le sais. Je me suis sauvé du château de La Coste parce que le seigneur de Simiane voulait me vendre aux habitants de Bonnieux.
...
Je veux me sauver de ce pays pour revenir plus fort et les venger...Ils paieront pour mes morts, mes terres volées et mes peurs d'aujourd'hui...Nous sommes endurcis aux feux de l'enfer.

L'inquisition lui avait pris son père, sa mère, ses frères, mais le malheur n'avait pu entamer sa farouche détermination. Il n'avait plus ni maison, ni terre à cultiver et ne connaissait que l'errance.

Que peuvent nos quelques gens de police, qui ne font pas métier de guerre contre les bandes armées de Merindol, de Cabrières et de Gordes ? Les soldats du Pape, pourtant bien entraînés, n'ont pu les arrêter dans Cavaillon...Il nous faudrait la troupe pour venir à bout de ces croquants... Mais patience, nous solderons les comptes en une seule fois...Au lieu de les exciter, calmez vos paroissiens et dîtes-leur que le roi ne les oublie pas...Des actes de rébellion desserviraient notre cause.

Il est des lieux qui, pour le solitaire, sont des îles d'harmonie, un univers à part, un coin de sa mémoire où le coeur chaviré se refugie dans la tempête. Des hommes s'y enferment parfois et se taisent pour toujours.
Bien au delà des révoltes et des mots que l'on sème au dessus des toits de nos maisons, se cache le vide désespéré des coeurs en désherence.
Pour moi le salut se trouvait au pied du Luberon.

Etre vaudois ce n'est pas sempiternellement ressasser le passé, vivre du sang des martyrs, ni pleurer sur nos frères morts. Ce n'est pas seulement lire les Evangiles mais c'est aussi les vivre, faire ce que commande le Christ. Il nous demande de nous aimer les uns les autres. Ce n'est pas toujours facile mais l'acte n'en est que plus méritoire. Marthe avait su convaincre, en tenant le langage direct que les montagnards appréciaient. Langage de vérité qui ne se paie pas de vaines paroles. L'acte posé avait, à leurs yeux, plus de valeur que les discours sur la vertu. -Cest difficile de pardonner à ceux qui nous ont meurtris, mais comme disaient nos anciens, les enfants doivent-ils payer pour les fautes de leurs pères ? Il se dirigea vers la petite Florette toujours assise sous son noyer. Viens ma fille, ma maison est la tienne pour le temps que tu voudras. Nous partagerons le pain, la prière, le travail.

Ainsi s'effrite la mémoire qui ne retient que les angles nets et les gestes précis. Elle perd, à longueur de vie, la pâle aurore d'un regard, la ride qui se creuse comme un illon d'automne et le sorire à peine dessiné d'une moue frondeuse.

- Tu sais eustache, la victoire des uns entraîne la revanche des autres et ainsi, jusqu'à ce qu'il ne reste plus, sur le terrain que des morts et des ruines. bon ! je ne veux pas ternir ta joie. Tu as fais beaucoup pour que notre peuple retrouve sa dignité.
A toi la gloire et la renommée, mon fils ...
Maynard pleurait.
- Allons nous coucher maintenant et ne fais pas attention aux scrupules d'un vieillard.

les deux hommes burent longuement, à petites gorgées.Le vin le associait dans un commun partage, les réchauffait et quelque part, au tréfonds de la tripe, les réjouissait. Il endorait les réticences, les pudeurs, donnait la parole à celui qui ne l'avait pas. Le vin aidait à oser.