- Je voulais aller sur une plage, mais j'ai changé d'idée. Elles sont pleines de juifs. Je ne peux pas souffrir les juifs.
- Je suis juive, dit ma mère avec un calme admirable.
Le monsieur rougit. Il bredouilla embarrassé :
- Pardon, madame, je ne voulais pas vous offenser. On dit ces choses-là par habitude. Croyez bien que je vous ai trouvée sympathique dès que je vous ai vue entrer. Du reste j'ai de bons amis juifs. Je ne déteste pas les juifs, je dis souvent à mes amis juifs : s'ils étaient tous comme vous, il n'y aurait pas d'antisémitisme...
Il se confondait en courbettes, mais ma mère resta sur sa réserve.
Oh ! cette phrase horrible que je devais encore entendre si souvent : " si tous étaient comme toi... " Et cette chose ridicule : chaque allemand connaissait un bon ami juif qui était une exception. " (p 153)
Mon père entra, très pâle :
- Ils ont assassiné Rathenau.
Ma mère laissa tomber sa broderie :
- Que Dieu nous protège !
(...)
- Léo, dit ma mère, quel mal leur a-t-il fait ? Quel mal leur faisons-nous ?
Je compris : Rathenau était juif.