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Citation de Partemps


Vienne, ce 25 août 1949.

Mon chéri,

Cette lettre ne sera pas facile ; sans question et sans réponse, une année est passée, avec des petits mots peu nombreux, mais très tendres, de tout petits essais de parole, dont à ce jour il n’est pas encore sorti grand-chose. Te souviens-tu encore de nos premières conversations téléphoniques ? Combien cela était difficile ; moi, quelque chose ne cessait de m’étouffer, un sentiment qui n’était pas sans rapport avec celui qui jusqu’ici portait nos lettres. Je ne sais pas si tu en conviendras avec moi, mais je veux bien le supposer.

Ton silence était sûrement différent du mien. Pour moi il va de soi que nous n’allons pas parler maintenant de toi ni de tes motivations. Elles m’importent et m’importeront toujours, mais s’il faut mettre quelque chose dans la balance, alors que ce ne soit rien qui te concerne. Pour moi tu es toi, pour moi tu n’es « coupable » de rien. Tu n’as pas besoin de me dire quoi que ce soit, mais je me réjouirai du moindre mot. Pour moi il en va autrement. Je suis sans doute la plus simple de nous deux, et pourtant c’est à moi de m’expliquer, parce que pour toi, c’est plus difficile à comprendre.
Mon silence signifie avant tout que je voulais conserver les semaines comme elles étaient, je ne voulais en effet rien d’autre qu’avoir de temps en temps par une carte de toi la confirmation que je n’avais pas rêvé, mais que tout était effectivement comme c’était. Que je t’avais aimé, sans que rien n’ait changé, sur un plan qui était « au-delà des marronniers ».

Puis est arrivé ce printemps et tout est devenu plus fort, plus ardent et est sorti de la cloche de verre sous laquelle je l’avais placé. De nombreux projets ont vu le jour, je voulais aller à Paris, te revoir, mais je ne peux pas te dire ni pourquoi ni dans quel but. Je ne sais pas pour quelle raison je te veux ni à quelle fin. Et j’en suis très contente. D’habitude, je ne le sais que trop.

Pour moi il s’est passé énormément de choses cette année ; j’ai pas mal avancé, j’avais beaucoup de travail, j’ai jeté sur le papier quelques premières choses, avec énormément de doutes, d’inhibitions, d’espoirs.

Sais-tu encore à quel point tu étais toujours un peu désespéré par ma franchise dans certaines choses ? Je ne sais pas ce que tu veux ou ne veux pas savoir maintenant, mais tu dois bien te douter que depuis toi le temps n’a pas passé pour moi sans relations avec des hommes. Le souhait que tu avais à l’époque à ce sujet, je l’ai accompli ; cela non plus je ne te l’ai pas encore dit.

rien n’a abouti à un véritable lien, je ne reste nulle part longtemps, je suis moins tranquille que jamais et je ne veux ni ne peux promettre rien à personne. Combien de temps peut bien séparer nos mois de mai et juin de tout cela, demandes-tu : pas un jour, sais-tu, mon chéri ! Mai et juin, c’est pour moi ce soir ou demain midi et il en sera ainsi de nombreuses années encore.

Tu m’écris avec une telle amertume sur la manière bizarre dont je me serais comportée lorsque j’étais devant l’alternative Paris ou l’Amérique. Je te comprends trop bien, et c’est très douloureux maintenant aussi pour moi que tu aies perçu les choses ainsi. Quoi que je réponde à ce sujet, ce sera faux. Peut-être voulais je juste voir de la sorte si tu tenais encore à moi ; pas de façon délibérée, mais plutôt inconsciemment. Et je ne voulais pas non plus choisir entre toi et l’Amérique, mais quelque chose à l’écart de nous. Et puis s’ajoute à cela qu’il est difficile de te faire saisir à quel point d’un jour à l’autre les projets sont dépassés et prennent un autre visage. Aujourd’hui il s’agit de bourses dont il ne sera plus question demain, parce qu’il faut les solliciter dans un certain délai, qu’on ne peut pas respecter, et puis il manque des attestations qu’on ne peut pas produire. À ce jour j’ai réussi à avoir deux recommandations, une pour une bourse d’études à Londres, une autre pour Paris, mais je ne peux pas te dire avec certitude ce que ça donnera et je fais ces demandes sans idée précise, seulement dans l’espoir qu’une d’entre elles sera satisfaite à un moment quelconque. D’autre part il y a quelqu’un qui voudrait m’emmener à Paris avec lui. Je suis à peu près sûre que ça va se faire, parce qu’un jour cela a déjà failli être le cas. Pour le moment l’obstacle, c’est moi, parce que les examens terminaux du doctorat traînent en longueur à un point inimaginable.

Tu pourrais conclure de tout cela que j’étais très loin de toi. Je ne peux te dire qu’une chose, aussi invraisemblable que ça me paraisse à moi-même, je suis très proche de toi.
C’est un bel amour, dans lequel je vis avec toi, et ce n’est que parce que j’ai peur d’en dire trop que je ne dis pas que c’est le plus beau.

Paul, je voudrais prendre ta pauvre belle tête entre mes mains et la secouer pour lui faire comprendre clairement qu’en cela j’en dis beaucoup, beaucoup trop pour moi, car tu dois bien encore savoir combien c’est dur pour moi de trouver les mots. J’aimerais que tu puisses lire tout ce qui est écrit ici entre les lignes.

[Lettre inachevée, non envoyée]

Vienne, le 25 septembre 1951
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