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Citation de Partemps


Vienne, le 25 septembre 1951

Cher Paul,

Je vais ces jours-ci te renvoyer l’anneau que tu m’as donné l’an passé ; simplement je ne sais pas encore si je peux, sans autre forme de précaution, le confier à la poste ou s’il faut que j’attende que quelqu’un aille à Paris. Dès que je me serai renseignée, je t’écrirai pour te dire si je peux choisir le premier et le plus simple moyen d’acheminement.

Je dois d’abord te prévenir que j’ai enfin eu l’occasion de voir Nani en tête à tête ; on a parlé de diverses choses ; de diverses choses que je tenais à savoir.

Ton désir de récupérer l’anneau m’a moins surprise que les souvenirs que tu y associes. J’aurais très bien compris que tu tiennes beaucoup à garder ce souvenir de ta famille et rien qu’à cause de cela, je n’aurais pas un instant hésité à te le rendre, je ne l’aurais certainement pas mal interprété et par conséquent je ne me serais pas non plus sentie blessée.
Mais il a fallu que j’apprenne aujourd’hui, même si c’est par les allusions pleines de tact de Nani, que le souvenir des conditions dans lesquelles ce « cadeau » a été fait m’aurait ou t’aurait troublé. Le soupçon que tu exprimes ainsi au fond du cœur par rapport à moi – et sans doute aussi par rapport à Nani – me paraît si monstrueux, qu’il me faut même encore aujourd’hui, deux jours après en avoir été informée, me ressaisir pour avoir les idées claires et ne pas montrer l’amertume et le désespoir qui menacent de m’envahir.

Paul, crois-tu donc vraiment que cet anneau – dont je connaissais l’histoire – et que cette histoire soit sacrée pour moi, tu n’as pas pu le contester dans tous les reproches que tu m’as faits – j’aurais pu me l’approprier par caprice, simplement parce que je l’aurais vu et qu’il m’aurait plu ? Je ne veux pas me justifier devant toi, je ne veux pas non plus avoir raison, car il ne s’agit pas ici de toi ni de moi, en tout cas pas pour moi – mais seulement de savoir si ce dont je réponds existe et résiste devant ce que représente cet anneau. Et je n’ai rien à te dire si ce n’est que ma conscience devant les morts qui ont porté cet anneau existe et résiste. Je l’ai accepté comme un cadeau de toi et je l’ai porté ou conservé, en gardant toujours à l’esprit sa signification.

Aujourd’hui je comprends mieux beaucoup de choses : je sais que tu me détestes et que tu te méfies profondément de moi, et je te plains – car je suis inaccessible à ta méfiance – et je ne la comprendrai jamais – je te plains parce que, pour surmonter une déception, tu as un tel besoin de détruire, à tes yeux et aux yeux des autres, l’autre qui t’a causé cette déception.

Que je t’aime quand même, c’est, désormais, mon affaire à moi. En tout cas je n’aspire pas, comme toi, d’une manière ou d’une autre, par un reproche ou un autre, à en finir avec toi, à t’oublier, ou à te chasser de mon cœur ; je sais aujourd’hui que je n’en finirai peut-être jamais avec tout cela, sans toutefois jamais rien perdre de ma fierté, comme toi, tu seras fier un jour d’avoir apaisé tes sentiments à mon égard, comme des sentiments à l’égard de quelque chose de très méchant.

N’oublie pas, s’il te plaît, de m’écrire à propos de tes poèmes ; je ne voudrais pas que tout le reste dont nous avons convenu par ailleurs souffre de nos affrontements personnels.
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