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3.8/5 (sur 5 notes)

Nationalité : Roumanie
Né(e) le : 05/01/1950
Mort(e) le : 21/05/1991

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Bibliographie de Ioan Petru Culianu   (4)Voir plus

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Citations et extraits (6) Ajouter une citation
Vers la fin du XIXe siècle, G. Le Bon jette les bases de la discipline appelée « psychologie des masses » (Psychologie des foules paru en 1895), qui sera développée par Sigmund Freud, dont l’ouvrage Psychologie des masses et analyse du moi (1921) eut beaucoup de retentissement. Mais le but de Le Bon et de Freud est de déterminer les mécanismes psychologiques qui agissent à l’intérieur d’une masse et qui président à sa composition, non pas d’enseigner comment dominer une masse. La science, à cause de ses scrupules d’ordre moral, se refuse à adopter un point de vue qu’elle abandonne plus volontiers à l’homme politique, à un Adolf Hitler, auteur du Mein Kampf. On laisse au Prince ce qui lui appartient, quitte à protester – comme l’a fait Freud – contre les abus d’un Staline et du « nouvel ordre » instauré en Union soviétique.

L’humanité toute entière a entendu parler du Prince de Machiavel, et beaucoup de politiciens se sont empressés de suivre son exemple. Mais ce n’est qu’aujourd’hui qu’on peut apprécier combien le De vinculis [de Giordano Bruno, 1548-1600] dépasse le Prince en profondeur, en actualité et en importance : aujourd’hui, quand aucun chef politique du monde occidental ne songerait plus pouvoir agir comme le Prince de Machiavel, mais qu’on utiliserait, en revanche, des moyens de persuasion et de manipulation aussi subtils que les trusts d’intelligence sont capables de mettre à sa disposition. Pour comprendre et mettre en valeur l’actualité du De vinculis, il faudrait être renseigné sur l’activité de ces trusts, des ministères de la Propagande, il faudrait pouvoir jeter un coup d’œil dans les manuels des écoles d’espionnage, dont on peut néanmoins se faire une idée d’après ce qui transparaît parfois hors des coulisses de ces organisations, dont le but idéal est de garantir l’ordre et le bien-être commun, là où il existe.

Le Prince de Machiavel était l’ancêtre de l’aventurier politique, dont la figure est en train de disparaître. Par contre, le magicien du De vinculis est le prototype des systèmes impersonnels de mass media, de la censure indirecte, de la manipulation globale et des brain-trusts qui exercent leur contrôle occulte sur les masses occidentales.
(...)
On voit que la magie érotique brunienne se propose pour but de permettre à un manipulateur de contrôler des individus isolés et des masses. Son présupposé fondamental est qu'il y a un grand instrument de manipulation, et celui-ci est l’Éros dans son sens le plus général : ce qu'on aime, du plaisir physique jusqu'aux choses insoupçonnées, en passant, sans doute, par la richesse, le pouvoir, etc (...) dans la mesure où elles ont toujours un côté opérationnel, la sociologie, la psychologie et la psychosociologie appliquée représentent, de nos jours, les prolongements directs de la magie renaissante. (pp. 129-130 & 147)
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La doctrine de l’homologie macro et microcosmique a, dans la culture occidentale, une prestigieuse histoire. Il est bien rare qu’un philosophe grec ou un théologien chrétien n’en aient pas été profondément influencés, et H. de Lubac a récemment montré qu’elle n’est point plus étrangère à la pensée du Moyen Âge occidental qu’à celle de la Renaissance. Il va sans dire qu’il est impossible de retracer ici ses vicissitudes.

Déjà pendant l’hellénisme, la doctrine se manifestait sous deux formes, d’importance relativement égale dans toute son évolution ultérieure. On les retrouve toutes deux chez les penseurs de la Renaissance.

Il est bien probable, comme Anders Olerud l’a démontré, que Platon, établissant l’homologie entre l’univers et l’homme, se soit inspiré du Corpus hippocratique. Cependant, la justification théorique qu’il fournit à la doctrine en son entier ne manque pas d’être redevable à sa propre théorie des idées. Selon celle-ci, le monde sensible a un archétype préexistant, stable et éternel : le monde intellectuel ou noétique. A son tour, l’homme, qui est un composé d’âme et de corps, réunit en lui-même ces deux mondes : son corps est, en quelque sorte, l’image de l’univers sensible ; son âme est un compendium du monde des idées. Puisque le cosmos noétique renferme dans ses matrices essentielles tout ce qui est rendu sensible dans le monde inférieur, il en découle que la partie raisonnable de l’âme humaine ne contient pas moins que le modèle intelligible de la création.

Le postulat platonicien ne préside pas directement à la théorie de la magie, dont les principes restent plus ou moins identiques, de l’Antiquité tardive jusqu’à la Renaissance. C’est la pneumatique stoïcienne qui constitue le point de départ de toutes ces spéculations concernant la magie pratique.

Pour les stoïciens, le cosmos était conçu comme un organisme vivant, pourvu de raison, capable d’engendrer des microcosmes raisonnables : Animans est igitur mundus composque rationis. La doctrine de la sympathie universelle est formulée par Zénon de Citium et développée par Cléanthe d’Assos et par son successeur Chrysippe. D’après le modèle de l’homme, qui possède un hégémonikon ou « Principal » (le synthétiseur cardiaque), le macrocosme est également pourvu d’un hégémonikon, situé dans le soleil, cœur du monde. « L’accord entre la psychologie humaine et la psychologie du cosmos est donc complet : de même que le pneuma psychique anime notre organisme tout entier, de même le pneuma cosmique pénètre jusqu’aux extrémités les plus reculées de ce grand organisme qui est appelé le monde. » (pp. 156-157)
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Partout où s’instaure la Réforme, les mœurs changent. Dans la mode féminine, cela se traduit par la disparition complète du décolleté, auquel se substitue un corsage au col haut, et par l’apparition d’une jupe double, dont l’un des buts paraît avoir été d’éviter les regards indiscrets lors de la danse. Les bains publics mixtes, qui s’étaient multipliés au XIVe siècle, n’existent presque plus au XVIe.

La Réforme allemande ne lança pourtant aucune mode unitaire. Après 1540, l’influence dominante vient d’Espagne et très vite gagne l’Europe tout entière, y compris les pays protestants.

L’idéologie qui préside à la mode féminine espagnole est simple et claire : la femme est l’instrument aveugle de séduction de la nature, elle est le symbole de la tentation, du péché et du mal. En dehors de son visage, ses appâts principaux sont les signes de la fécondité : les hanches et les seins, mais aussi chaque millimètre de peau qu’elle exhibe. Le visage doit, hélas, rester découvert ; mais il est possible de lui imprimer une expression rigide, virile. Le cou peut être enveloppé par un haut col de dentelle. Quant à la poitrine, le traitement qu’on lui applique rappelle de près la déformation traditionnelle des pieds chez les dames japonaises, sans être, d’ailleurs, moins douloureux et malsain.
(…)
La mode détermine certainement le seul de l’excitation sexuelle : une mode permissive qui donne l’occasion à la femme d’exhiber tous ses charmes naturels aboutit à une certaine indifférence entre les sexes ; par contre, une mode répressive a comme résultat un abaissement proportionnel du seuil de l’excitation. L’on se rend facilement compte en apprenant que, lors du triomphe de la mode espagnole, « la dernière faveur » qu’une femme accordait à son soupirant, le comblant de bonheur, était de lui montrer son pied. Au XIXe siècle, la situation n’était pas complètement changée, puisque Victor Hugo nous informe, dans ses Misérables, que Marius fut plongé dans une longe rêverie érotique pour avoir entrevu, par hasard, la cheville de Cosette. (pp. 279-280)
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Nous aurons l’occasion d’apprécier la portée des emprunts faits par Ficin [Italie, 1433-1499] à al-Kindî [Irak, 801-873].

Il suffira d’observer ici que l’univers d’al-Kindî, tout comme celui de la physique moderne, est fait de deux états d’énergie : l’état élémentaire et l’état de radiation. Les éléments, à leur tour, se combinent pour former des agrégats dont les radiations auront des propriétés nouvelles. Chaque objet du monde se trouve au centre d’un transfert universel de radiations, dont le champ varie selon la position de l’objet dans l’espace et dans le temps, de manière qu’il ne peut y avoir deux objets dont le comportement soit parfaitement identique en ce qui concerne l’émanation et la réception des rayons.

L’écrivain italien Dino Buzzati, s’imaginant que l’agonie d’un simple cafard écrasé par mégarde avait des conséquences d’ordre cosmique, paraît s’être parfaitement transposé dans l’esprit d’al-Kindî, pour lequel chaque événement, même le plus insignifiant, a un rayonnement universel (particulièrement intense dans le cas de la mort violente).

La magie tire de ce principe même sa possibilité d’existence, qui consiste à émettre des radiations dont la « longueur d’onde » puisse rejoindre les postes récepteurs visés par l’opérateur. Les destinataires du message seront contraints à y réagir selon l’intention imprimée dans la radiation. Or, il ne faut pas perdre de vue que les rayons d’al-Kindî sont de nature pneumatique, que sa magie est une magie spirituelle qui ne fait que continuer celle de Synésius de Cyrène. Cela signifie que l’homme, doué d’un synthétiseur fantastique, pourra y produire convenablement des affections qu’il lancera dans l’espace pneumatique vers l’esprit récepteur d’un autre individu de la même espèce. L’efficacité de cette magie intersubjective est garantie par la constitution de l’agrégat humain et par la foi de l’opérateur. (p. 170)
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Le flux culturel qui envahit l’Europe occidentale de l’Ouest et de l’Est, dont la scolastique du bas Moyen Age, ainsi que les sectes dualistes furent les résultats, peut toutefois être jugé, dans certaines limites, comme un phénomène d’importation. Quand la marée se retira, les influences venant de l’ouest et celles venant de l’est se trouvèrent conjointes dans l’idéologie, bizarre et originale, de l’amour courtois.

Avec le catharisme, celle-ci a en commun le mépris du mariage et l’ambiguïté d’un message qui, hostile en principe au commerce sexuel, n’est pas moins contredit, en pratique, par les mœurs libertines des trouvères. Comme les croyants cathares, quelques-uns d’entre eux semblent s’être systématiquement permis des licences. Le phénomène de l’amour courtois a cependant beaucoup plus en commun avec la médecine et la mystique arabe, ce qui n’annule pourtant pas l’hypothèse d’une double source d’inspiration.

L’idéalisation et même l’hypostatisation de la femme, composante importante de l’amour courtois, étaient depuis longtemps présentes dans la poésie mystique arabe. Celle-ci, d’ailleurs, n’était pas exempte de l’accusation de dualisme, phénomène tout aussi mal toléré par les musulmans que par les chrétiens. En 783, le poète Bashshâr ibn Burd fut condamné à mort comme zindîq ou crypto-manichéen (donc cathare avant la lettre), « puisqu’il avait identifié la femme à laquelle il avait dédié son poème avec l’Esprit ou rûh, intermédiaire entre l’homme et Dieu ». Seule la féminité inaccessible peut être divinisée, et R. Boase nous rappelle, comme pendant cathare de l’histoire de Bashshâr, que Gervais de Tilbury envoya au bûcher une jeune fille pour le seul fait qu’elle avait refusé ses avances érotiques.

En Islam, l’identification femme-entité suprasensible était plus ou moins courante, sans être dépourvue d’ambiguïté. (pp. 37-38)
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La civilisation occidentale moderne représente, en son entier, le produit de la Réforme – d’une Réforme qui, vidée de son contenu religieux, en garda néanmoins les formes.

Sur le plan théorique, la grande censure de l’imaginaire aboutit à l’apparition de la science exacte et de la technologie moderne.

Sur le plan pratique, son résultat est l’apparition des institutions modernes.

Sur le plan psychosocial, c’est l’apparition de toutes nos névroses chroniques, dues à l’orientation trop unilatérale de la civilisation réformée, pour ainsi dire, dans un appendice.

Nous vivons encore, pour ainsi dire, dans un appendice sécularisé de la Réforme et, à y regarder de près, bien des phénomènes de notre époque dont nous n’avons jamais cherché une explication historique remontent aux grands conflits spirituels et politiques du XVIe et du XVIIe siècle. (p. 291)
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