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Citation de dezecinte


Les frères Isaac et Salomon Sinner se levaient tard ; ils se baignaient, ponçaient leurs vieux corps fragiles ; ils abandonnaient leurs ongles aux manucures attitrées, de belles filles qu'ils ne pouvaient plus caresser, mais qu'ils regardaient seulement de loin, avec un plaisir mêlé d'irritation et de regret, comme on contemple des fleurs derrière une vitre. Ils s'habillaient minutieusement, avec des soins infinis, et recouvraient enfin leurs sèches carcasses de robes de chambre qui, par la richesse de leurs coloris et la perfection de leur coupe, étaient le suprême aboutissement de deux arts conjugués : celui de l'Orient et celui de Londres. Tel avait toujours été le but plus ou moins conscient de leurs ambitions : offrir en leurs personnes une combinaison subtile de correction et de faste. Tout en eux avait été jusqu'ici impeccablement ce qu'il fallait, avec un arrière-plan d'étrangeté, comme le parfum de certains bois exotiques qui jamais ne s'efface. Ils se ressemblaient singulièrement ; ils avaient soixante-seize ans ; ils étaient maigres et légers, avec des cheveux blancs bouclés, un teint qui du bistre avait viré au jaune et des cercles sombres autour des yeux. Les deux frères étaient vieux ; leur présence tous les jours dans l’immense bureau présidentiel de la banque, n'avait pas plus de signification, de réelle importance pour la conduite des affaires que celle du grand portrait du père, de l'ancêtre, qui pendait au mur. Malgré tout, ils étaient révérés. Ainsi deux flacons vénérables, couverts de poussière et de toile d'araignée, inspirent-ils encore le respect et il faut les déboucher, ôter la cire des cachets, verser le vin dans les verres, le porter aux lèvres pour s'apercevoir enfin que l'âge, après l'avoir longtemps bonifié, a eu raison de lui et qu'il a perdu tout son bouquet, qu'il n'est plus bon qu'à être jeté. Deux vieilles idoles peintes, peut-être, mais qu'on ne pouvait toucher sans être accusé de folie et de sacrilège, vieilles mains à la fois fragiles et menaçantes. Leur faiblesse même était dangereuse. Comment entrer en lutte avec ces vieillards secs et légers qui, dans leurs robes de chambre brillantes, faisaient penser à des papillons morts ?
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