Piégut-Pluviers
Mardi 3 novembre 1992
Zizi
Marcher. Sortir du bois. Ne pas s’affaler. Tenir sur mes jambes qui flageolent. Pas le moment qu’elles flanchent, qu’elles me laissent en plan. Je tremble. J’ai froid. La sueur glace mon dos. Trop d’agitation d’un coup. L’humidité n’arrange rien. Il bruine depuis ce matin. Bonne idée de mettre des gants et un bonnet en sortant de la maison. Une tonne au bout des pieds. Mes godasses s’alourdissent à chaque pas. Elles ramassent toutes les feuilles d’automne comme si leurs semelles étaient enduites de glue. Je crois savoir d’où ça vient. C’est le sang, il fait colle. Mauvaise saison. Ça se serait passé comment en plein été ? Plus proprement ? Je suis épuisée. Laminée. Crevée. Mon sac me blesse à l’épaule. J’aimerais souffler un peu. Impossible de s’arrêter. Dans moins d’une heure, je n’y verrai pas à un mètre. La nuit tombe encore plus vite sous les grands châtaigniers. Ne pas me prendre une branche dans la gueule. 1,75 m à se trimballer… Pas que des avantages… Pas se perdre surtout. Je connais un peu le coin. Quelques repères. Je viens souvent ici pour la cueillette des champignons. J’aurai l’esprit plus tranquille dès que je verrai le lit du ruisseau asséché. Je le suivrai sur un kilomètre jusqu’à la lisière, marcherai sur la route et quitterai ce maudit bois. Il me tarde d’être à l’abri. Je me sens sale. Si sale. En plus de la terre et du sang, j’ai vomi sur mes vêtements. Je pue. Une infection. J’ai cru que ça n’en finirait jamais, que je n’y arriverai pas. C’était une sacrée paire de manches. Pas une affaire pour une Sainte Nitouche. Tellement long, épuisant, écœurant. Dégueulasse même. Je suis d’avis de prendre une bonne douche chaude aussitôt rentrée. Du genre nettoyage spécial. Va falloir bien me récurer. Partout. De fond en comble. Laver mes fringues pleines de merde. Les brûler plutôt. Y a plus rien à récupérer. Je suis bonne pour le rachat d’un blouson, d’un pantalon et d’une paire de chaussures. Tant pis pour la dépense. De toute façon, m’ man ne fait plus les comptes. Ça ne changera rien à notre problème de fric. De nouveaux habits, ça sera ma façon de fêter ça. Quelle fête ! Je me demande si je ne vais pas me déboucher une bonne bouteille pour moi toute seule. Une cave, ça sert à ça, aux occasions exceptionnelles ! J’ai l’embarras du choix. A part les outils de l’atelier, le pinard, c’est le grand héritage de p’ pa. Tout ce qui reste de bon chez nous. Hormis la mère... Je n’ai personne pour trinquer avec moi, m’ man n’aime pas l’alcool. C’est pas grave. Je vais trinquer avec toutes celles qu’auraient voulu faire ce que j’ai fait.