Reste que si les aliénés morts de faim dans les asiles français n'ont pas été exterminés, ils ne sont pas pour autant des victimes de seconde zone, ou [...] des "morts sans intérêt". Car leur destin interroge avec violence notre société sur son rapport à la folie et à ceux qui en sont atteints. L'épisode tragique de la guerre a révélé la faillite d'un mode de gestion de la maladie mentale qui consiste – sur le motif qu'il est incapable de travailler et présente des comportements violents ou dérangeants – à retrancher le fou de la communauté et à l'enfermer dans un ghetto, parfois jusqu'à la fin de ses jours. Là, bien que bénéficiaire de l'assistance publique [...], le malade interné perd peu à peu tout lien avec la société jusqu'à devenir transparent, invisible. C'est ce phénomène de mort sociale, qui précède parfois de plusieurs décennies la mort biologique, qui est en cause dans la famine des années d'occupation.
La question n'est pas de savoir si les acteurs peuvent "écrire l'histoire" ou s'ils doivent abandonner cette prérogative aux historiens "professionnels". L'enjeu n'est pas celui de la légitimité. Il est celui de la rigueur. Le devoir de mémoire n'a de sens que s'il est aussi un devoir de rigueur.